vendredi 29 mai 2020

Le cheval qui courait sur un tapis!

 Le rayon de soleil vient taper à la vitre sale du hangar. Il suit sa course jusqu’à frapper l’œil de l’animal à l’intérieur.

Dans ce qui lui sert d’écurie, le cheval s’ébroue doucement, comme pour chasser les démons de la nuit. D’un pas lent il se dirige vers la barrière de son enclos.
Tous les matins c’est le même rituel, le cheval guette le chemin, il sait que son maître va venir, il l’aperçoit à une centaine de mètres, hennit pour l’encourager. Son maître, Maurice, il le reconnaîtrait entre mille.

Lorsque je passe devant son territoire, il vient me voir, parfois il n’est pas d’humeur, il me snobe. Je lui donne de temps en temps un quignon de pain, là, les caresses ne l’intéressent plus, il esquive ma main d’un air de dire « donne moi ton pain ! ». Je suis fier car quand je passe au loin il hennit pour me dire bonjour, j’ai remarqué qu’il ne le fait pas avec d’autres personnes.

Ce n’est rien à comparer de la fête qu’il réserve à son maître, j’en suis jaloux, l’autre matin je passais en même temps que son propriétaire il m’a ignoré d’une façon scandaleuse ; réservant ses hennissements et ses cabrioles à Maurice.
Les jours défilent tranquillement, et le passage des gens égaie les journées de l’animal.Son maître le met parfois dans un champ plus loin et je sens que le cheval n’est pas heureux alors je fais un effort pour lui rendre visite. 

Maurice tombe malade et ne peut plus s’occuper de l’animal. Le cheval attend, tous les matins, un maître qui ne viendra plus. L’ainé de Maurice décide de le vendre car personne n’aura le temps de s’en occuper. On met une photo de l’animal sur internet.
Un matin d’hiver, une grosse voiture noire avec un van vient le chercher, le cheval ne comprend pas ce qui lui arrive, lui qui n’a jamais quitter le village.

J’ai appris qu’il était dans une propriété d’un riche banquier, celui-ci l’a acheté sur un coup de tête pour le monter. Comme de toutes choses le banquier s’en fatigue et l’oublie. Pas tout à fait, car ce dernier a l’idée farfelue d’embaucher un lad et d’acheter un tapis roulant pour chevaux. Il souhaite que le cheval soit en forme le jour où, peut être, il aura le temps de le monter.

Depuis, tous les matins, à l’heure où Maurice venait lui donner son blé, le cheval est attaché à une barre de fer, le tapis se met à rouler et l’animal est obligé de suivre le rythme sous le regard complicedu lad.

Plus jamais, le cheval ne verra la vie du petit village, il ne courra plus dans le pré pour venir goûter mon pain. Il est devenu l’objet d’un homme qui croit qu’on peut tout s’acheter.

Il est victime de la bêtise du millionnaire.
* L'histoire du tapis est réelle, elle est racontée par l'écrivain Joseph Incardona dans l'émission "La grande librairie"

lundi 20 janvier 2020

Le Blues

  Assis au comptoir, devant mon verre, j’écoute le blues sur l’écran. Le barman est fan, la sono est bonne.

La guitare pleure ses riffs, elle laisse éclater sa douleur. Le chanteur enchaine et suinte sa mélodie.
L’instant est triste mais poignant, magique. On laisse une mélancolie  nous sortir des tripes. Une mélancolie optimiste dans le sens où elle va chercher au plus profond de nous même, jusqu’à devenir jouissance.

Le chanteur* enchaine sur un solo, grimaçant sur  chaque accord prolongé, vivant sa musique, son instrument n’est que partie de son corps. On s’envole transporté  par ses rythmes.

Je ne connais pas ce type qui chante au Royal Albert Hall, quelle maitrise. Il a 3 cuivres avec lui, deux batteurs, 3 choristes, un clavier, lui, sa guitare et sa voix. Tout cela est bien huilé. Youtube nous permet d’assister au concert. Les spectateurs, anglais, sont assis bien sagement dans leur fauteuil.

A coté de moi une fille, sacrément roulée, se trémousse en communion avec l’artiste, je me pense « quelle aura ces chanteurs ! Ils tiennent en haleine des milliers de gens en font rêver plus encore ! ».
Ma voisine m’ignore, elle est scotchée à l’écran. « Il faut que je me mette à la guitare y a pas moyen ! » Mais la communion est là et la jeune femme s’approche de moi en reculant pour venir se frotter doucement ; je soupire d’aisance essayant de capter ce moment que je sais furtif.

Les habitués sont silencieux, vivant l’instant. Un frisson passe dans la salle venant lier d’une même émotion toute l'assistance. Il n’y a que la musique, enfin l’art, pour arriver à cette communion.

Le type sur scène est en transe, sa veste de costume est trempée, sa rage toujours intacte, Après chaque solo il se rapproche du micro, arc-boutant ses épaules et donnant des coup de tête au  rythme de la batterie; tel un type possédé.

Le blues chante et pleure la vie.

*Joe Bonamassa - "Happier Times" - Live From The Royal Albert Hall


mercredi 1 janvier 2020

Flânerie

  Ce matin je prends le métro pour aller au travail.

Comme tous les matins d’ailleurs. Je n’ose compter combien de fois je l’ai fait, cela me donne le vertige d’y penser; d’ailleurs combien de fois faudra-t-il le faire pour arriver à la retraite?

Je préfère partir plus tôt pour être tranquille, sinon c’est la cohue on est pressé dans les deux sens du terme ; des odeurs mélangées vous soulèvent  le cœur, l’estomac se rappelle à vous d’avoir avalé trop vite votre déjeuner.

Le métro vous endort, vous y rentrez en pleine forme, vous en sortez comme dans un rêve. Pour cette raison, j’aime sortir deux ou trois stations avant mon terminus  afin de parcourir le restant du voyage à l’air libre, libre de mes mouvements, libre de mes pensées. Je me rappelle d’une époque où j’allais à pied au travail, deux kilomètres à parcourir et l’impression d’être reconnu sur mon parcours par les commerçants et habitués. Là, le métro est la promiscuité avec l’anonymat. Je regarde pourtant les usagers et en reconnait quelques uns, parfois je vole un sourire à quelqu’un qui, surpris, se réfugie dans son journal.

Il m’est arrivé de penser descendre à une station au hasard et passer la journée à flâner et  visiter ce qu’il y a là-haut. Mais le travail m’appelle et il faut bosser, mon éducation, notre éducation, dés l’école, est faite pour cela. On ne peut penser une vie sans travail ; moi, ado, j’y pensais.
A la question :
« Que veux-tu faire comme métier ? »
Poli, je répondais :
« Je ne sais encore ! » Mais pensais :
« Rien ! Pourquoi faudrait-il passer sa vie à travailler? »

Enfin comme dirait ma mère « tu ne connais pas ta chance d’avoir du travail ! ». Le monde à été conçu par des gens hautement placés qui nous utilisent comme puissance et force de rentabilité.  Ma chance à moi est que j’ai réussi à trouver un emploi intéressant. Quand je regarde mes compatriotes de voyage sous-terrain je ne vois pas, chez certains, l’enthousiasme sur leur visage qu’ils devraient avoir pour entamer une journée de leur vie.

Oui, je pense aller flâner de temps en temps comme, en marche vers l’école, traversant la campagne, il me prenait l’idée saugrenue et interdite de prendre un chemin de traverse et glaner des instants bucoliques.  Je me serais allongé dans l'herbe, à regarder le ciel bleu sillonné par le vol saccadé des hirondelles. J'aurais vu cette coccinelle gravir un long brin d'herbe et se noyer dans une goutte de rosée restée là comme par miracle. Sentir l'herbe fraiche en écoutant le ramage amoureux des oiseaux ; jusqu'à ce qu'une vache, plus curieuse que les autres, vienne me sentir de son museau mouillé et m'oblige à me lever. A l’époque, je ne l’ai jamais fait, l’éducation encore, l’école buissonnière c’est pour les cancres !

Maintenant mon errance se passe dans ma tète,  il m’est arrivé de laisser passer ma station d’arrivée. Ici dans la ville il n’aurait pas été question de champ et d’herbe. Tant de chose, pourtant à faire, visiter musées et rues, s’asseoir à une terrasse de café et pour le coup rire des gens pressés. Se reposer dans un square où les enfants s’ébattent dans un bac à sable ; un de ces enfants vous invitant à participer en vous tendant sa petite pelle. Il y aurait aussi les oiseaux dans les arbres qui discutent et me rappellent ma campagne, mais là, aucune vache ne viendrait me sortir de mes pensées.

Le son strident du métro me rappelle à la réalité, je descends de la rame pour suivre le flot des moutons.

Ce n’est pas encore aujourd’hui que je transgresserai l’ordre établi des choses. 

vendredi 6 décembre 2019

Lola

  Elle est sous son réverbère.

Elle frissonne dans ses cuissardes et sa mini-jupe, c’est la fin de l'été, le temps est encore agréable.
Bientôt l’hiver arrivera.

La nuit se meurt.

Alors que la ville s’éveille elle termine son job. Elle se voit déjà rentrer chez elle où l’attend son petit bout de vie encore endormi.
Elle rentrera dans sa chambre s’assurant du sommeil du petit enfant, retournera dans la cuisine préparer le bol, les céréales et le sucre. Puis ira s’asseoir sur le lit de sa fille, la regarder avant que le réveil efface l’innocence des rêves.
Le soleil glissera un de ses rayons sur le visage de poupée, éclairant d’ombre et de lumière ce portrait d’enfant qui doucement s’étirera.

Lola aurait aimé avoir un compagnon, lui préparer aussi son repas matinal afin qu’il parte rassasié à son travail. Elle lui donnerait son corps cet oasis fait de monts et vallées rutilantes ou il viendrait se repaître, oublier les tracas de la vie quotidienne.

Au lieu de cela, Lola est un désastre écologique à elle seule, ce corps, cette nature elle l’a transformée en usine, fabrique à plaisir où viennent se jeter des corps gras et puants. Elle recycle, purge et nettoie les cerveaux des types lubriques.

Elle assume, Lola, elle fait travailler son seul capital, enfin ce qu’elle pense être son seul atout.
A sa fille qui lui demande : « c’est quoi ton métier maman? » elle répond : « c’est donner du plaisir ». Le bonheur elle le réserve pour son enfant. « Bon pas rêver ! Il est l’heure d’emmener la puce à l’école» se dit-elle.
- Pourquoi je dois aller à l’école ? Maman. Je voudrais rester avec toi.
- Pour comprendre le monde mon cœur et avoir les armes pour te défendre!

mercredi 21 août 2019

Pour quelques quintaux de plus

  Un soir m'en revenant de l'étang. Je regarde les rayons du soleil jouer avec les feuilles des arbres. Je m’assieds dans l'herbe et écoute les oiseaux raconter leur folle journée faite de virevoltes et de piqués. Ces oiseaux rentrent dans leurs nids sur la haie. Les fleurs ondulent au rythme de la brise légère.
Je me dis que c'est peut-être cela le bonheur.

Pour quelques quintaux de plus on coupe les arbres, arrache les haies. Les oiseaux ne reviendront plus ici, ils iront gazouiller ailleurs. Pour quelques quintaux de plus ils peuvent bien aller voir plus loin. L'écureuil ne comprend pas pourquoi on lui a abattu sa maison c'est devenu un expulsé. Hier encore il sautait de branche en branche pour trouver les noix qui le nourriraient cet hiver. J’aimais cette lumière du soir avec un soleil rouge sang, embrasant le ciel. Ces ombres qui grandissaient et t’enveloppaient dans une pénombre annonçant le noir inquiétant de la nuit. Le soleil ne joue plus avec les arbres, même l'ombre a disparu.

Il n'y a pas si longtemps on disait "la nature est plus forte, elle reprend ses droits". L'homme peut s'enorgueillir d'avoir dompté cette nature. Il est plus fort qu'elle. Plus fort tant que cette nature est capable de le nourrir.
Vision à court terme.
Maintenant le vent balaie la plaine, soulevant la poussière, annonçant des tempêtes.
Ici c'est la déforestation, Là c'est la "débocagénisation".

Ici pour quelques quintaux de plus on surproduit.
Ailleurs, au loin, dans un autre monde, un enfant crie sa faim.

Dans 50 ans  on demandera aux enfants qu'elle est la couleur dominante de la région. Peu répondront le vert. Enfin! si ce n’était qu'une question de couleur. Cinquante ans à l'échelle de la création de cette terre c'est peu, c'est même pas une seconde.

Je regrette d'avoir vécu cette seconde.

Ces quelques quintaux de plus, je les aurais bien achetés pour garder les arbres et les haies. Pour un bonheur de plus ce n'aurait pas été cher payé. Je pensais que c'était le monde paysan qui m'avait donné cet amour de la terre. Maintenant je sais que non, c'est d'ailleurs pourquoi je suis parti.

J'aimais trop la nature.

J'aimais la nature, mais je m’aperçus bien vite que je ne pourrais pas en vivre. Je ne voulais pas devenir celui qui façonne la nature à ses besoins. Déracinant les arbres, nivelant les haies afin de faciliter le passage des machines. Arrosant de poisons cette terre pour produire plus, gagner plus, araser plus. Je n'aurais pas été en accord avec moi-même. Mettre un masque pour préparer les pesticides, les fongicides, les herbicides tous ces mots en «icides» qui veulent dire tuer. On en est arrivé à polluer les rivières à saturer les terres, à imbiber les nappes phréatiques. Tout cela pour produire plus, pour qui?

Pas pour le tiers monde qui crève toujours de faim.

Je suis un révolté de cette bêtise humaine qui ne voit pas plus loin que le bout de sa vie. Elle ne voit même pas la vie qu'elle réserve à ses enfants.  Elle vit au jour le jour, l'ambition est de gagner de l'argent, sans penser aux conséquences.
Je sais que leurs petits enfants pourront aller dans un musée voir ce qu'était une marre à l'ombre de grands chênes avec des grenouilles sur des feuilles de nénuphar. Ce vol d'une libellule se posant sur une grande herbe. Je me souviens encore de ruisseau ou enfant on allait jouer, faisant des barrages, inventant des bateaux avec un seul bout de bois. Déjà à cette époque on ne parlait plus d'écrevisses dans ces ruisseaux, ils avaient disparus. Puis on a remembré, drainé, enfoui ces ruisseaux, enterrant à jamais mes souvenirs, mes jeux.
Pourquoi suis-je aussi impliqué par ces ravages. Beaucoup s'en fichent, se justifient. Ils peuvent toujours justifier, je ne les entendrais pas.
Je suis fait comme ça.

Déjà à cette époque j'écrivais des pages sur la pollution. Ce n'était alors  juste que quelques accidents. Je savais que les Hommes vivraient un jour avec des masques. Je pensais alors voir le pire pour croire que ça allait changer.

La réalité dépasse toujours la fiction.

lundi 19 août 2019

Rock'n'Road

  La voiture roulait sur le  la voie rapide d’Angers.
A l’intérieur nous étions serrés, six ou sept, il n’y avait que moi qui avais une voiture.
Le lecteur de cassette distillait la voix envoutante de Stevie Nicks de Fleetwod Mac chantant «Storms ».
Filant au cœur de la nuit nous étions en communion, personne ne disait mot, voulant saisir cet instant de magie pour le stocker à jamais dans sa mémoire. Stevie pleure son amour disparu, mais peu importe les paroles, reste cette voix qui nous prend tous et nous emporte. Le moment est magique, on souhaiterait qu’il continue, quitte à refaire le tour de la ville.

La musique a ce pouvoir de marquer les instants de la vie et à jamais, enfin pour moi, à l’écoute, se rappeler exactement un instant. C’est un film qui se déroule pendant que la chanson s’écoule.
Bien sûr pour moi ce sont surtout les groupes américains et anglais des années 60/70.

Cette fille que j’ai prise en stop pour faire une cinquantaine de km. Après les présentations d’usage, voyant la discussion tourner court, j’ai mis une cassette de Crosby, Still, Nash & Young. La lune brillait sur la route, nous descendions des lacets; l’astre, à travers les arbres, jouait sur nous des ombres chinoises. La nuit était calme nous enveloppant de son manteau à notre passage. Nous étions silencieux et les voix en cœur du groupe collaient exactement à l’instant, nous transportant dans nos rêves.

A l’arrivée la fille m’a juste dit « merci pour cet instant magique ».Je n’ai jamais revu cette personne mais à chaque fois que je mets CSNY je m’en souviens. Peut être que cette fille ressent la même chose après des années.

Nous roulions sur la route des vacances, la cassette nous inondait d'envolées de guitare d'Uriah Heep. La Simca 1100 blanche filait sa route. Derrière trois copains, copines silencieux; à mes côtés, toi. Nous étions en symbiose tous les cinq. La musique, le soleil, la route ; au loin la mer et l’horizon de liberté. Tout était possible en cet instant.

La musique m’a toujours habité, et plus encore dans les moments difficiles.

mercredi 13 février 2019

Drone

Le soleil tape sur le désert de cailloux. L’ombre est rare,
il faudrait se glisser derrière un rocher pour la trouver.
La petite fille habituée, joue avec une poupée,
la faisant danser pour soulever ses habits au vent.

La climatisation ronronne gentiment dans le bureau, il fait bon devant l’écran.
Le ventilateur fait danser les bouts de tissu accrochés.
L’homme se prélasse en jouant à un jeu de cartes
tout en jetant un œil à l’autre console.

La petite fille voit le berger sortir ses moutons,
il porte un fusil en bandoulière au cas où quelques perdrix passeraient par là.
Elle le regarde se préparer aller quérir quelques herbes pour ses bêtes.

L’homme se concentre sur son jeu.
Une activité semble apparaître sur l'autre écran vert;
dans le flou de la vidéo il croit distinguer un homme armé.
Il essaie de bien comprendre ce qu’il voit car les ordres sont stricts: si une activité semble suspecte il faut intervenir.

La petite fille met sa main en pare soleil de façon à bien scruter le ciel où un vrombissement ne cesse d’emplir la vallée depuis ce matin.

L’homme a contacté le commandement : « En cas de doute on tire! ».
Abandonnant sa partie de cartes, il prend la souris et clique sur l'icône « Fire ».

La petite fille court vers son père, elle a vu quelque chose dans le ciel et veut l’avertir.
Encore dix mètres mais une boule de feu embrase le berger et son troupeau.
Elle s’arrête.
Deux secondes plus tard, la boule la prend et la couche au sol, la poupée s’enflamme.

L’homme se lève et s’étire. Il a faim.
Sa journée est terminée.

Le nuage de fumée se dissipe lentement dans la vallée.
Le grondement de la mort s’enfuit se répercutant sur les montagnes.
Tout n’est plus que désolation, seules les pierres ont résisté.

La vie a disparu.

jeudi 30 août 2018

Ainsi va la vie!

Le soleil tape sur le Il fait chaud sous le soleil qui tape sur la tête malgré la casquette épaisse. Marcel travaille aux champs, son père l’a mis à quatorze ans comme commis dans une ferme. Il respire la santé après quatre ans de travaux de force en plein air. Apprenant son métier au fil du temps. Il aime les bêtes et travailler la terre.

Mais Marcel est préoccupé, il veut marier la Denise et il lui faudra gagner plus d’argent. Ce n’est pas son salaire de misère qui fera vivre le couple. Alors il y a l’autre solution, l’usine. Tous ses copains y vont d’ailleurs surtout à l’usine d’amiante où on paie plus qu’ailleurs. Les avantages sont nombreux, toucher son salaire quoiqu’il arrive, avoir des congés et payés en plus ce qu’il a du mal à comprendre; sa vie sera réglée; plus besoin de regarder le ciel pour voir ce qu’il lui réserve.
Donc demain il prendra son vélo et descendra dans la vallée pour y rencontrer le nouveau contexte de sa vie professionnelle.
La paie est bonne. Lui et sa femme peuvent faire des projets. Ils vont à la banque pour contracter un emprunt qui leur permet d’acheter une petite maison à l’orée du bourg. Doucement la vie prend ses marques, lui, régulier dans ses horaires, part et revient du travail pendant que Denise s’occupe de la maison et s’entraide avec ses amies. Le soir, en montant la côte raide de la vallée, Marcel fait des projets dans sa tête, il est heureux et rien ne peut gâcher son bonheur.

Il lui a bien fallu s’habituer à la chaleur de l’usine, surtout à cette poussière suffocante au début, maintenant c’est devenu sa compagne de travail, cette poussière il l’a ramène même chez lui et sa femme a du mal à laver cette poudre grise. Mais ce n’est pas ces petits inconvénients qui entament la joie de notre homme. Les jours passent succédant aux mois et aux années. Un bébé est venu animer la maison.
La montée est de plus en plus difficile, Marcel s’essouffle plus rapidement, le poids des ans sourit-il optimiste même si une toux insistante vient troubler sa quiétude. Une rumeur commence à poindre dans le village, deux hommes arrivant à la retraite sont morts malades des poumons, ils travaillaient à l’usine de Marcel. Ce dernier se dit qu’ils n’étaient pas si robustes que cela ; ils buvaient aussi pour étancher toute cette poussière accumulée dans leur gorge. En haut de la vallée, quand le vent vient de l’ouest, on sent parfois l’odeur que disperse cette brise, « l’odeur du Roqueret dit-on! » lieu où est implantée l’usine.

Les rumeurs circulent mais on ne dit pas de mal d’une entreprise qui donne du travail à la majeure partie de la région et permet au bourg de se développer. Marcel devient de plus en plus sombre, le matin il a des quintes de toux en se levant. Sa femme s’inquiète. Cette poussière semble avoir raison de l’optimiste de l’homme; en fait de compagne elle devient petit à petit une ennemie à son bonheur. Un jour il se décide d’aller voir son médecin. Ce dernier lui rétorque que c’est un mauvais passage qu’avec un peu de sirop ça va passer. Ce praticien voit passer de plus en plus de gens comme Marcel mais il ne cherche pas à comprendre les raisons; se ralliant à l’opinion publique comme quoi l’usine fait vivre le village. Dans ce monde d’origine paysanne et chrétienne on ne critique pas ceux qui donnent du travail aux populations.
De plus en plus de personnes meurent de ce qu’on n’appelle pas encore le cancer de l’amiante. Dans le village il était de coutume de dire « les gars de l’usine passent rarement la première année de retraite ! » Comme si le mal à l’intérieur des corps se révoltait pour un besoin d’amiante.

Si je raconte cela aujourd’hui c’est que je suis tombé sur l’interview d’un type qui a fait un documentaire sur l’amiante. Il est parti du journal intime de son père retrouvé une dizaine d’année après la mort de l’auteur. Son père ne bossait pas à l’usine, il était instit puis proviseur, son amiantage (mot vulgaire !) il l’a eu dans l’école où il travaillait. En échange d’aide financière on lui a demandé le silence sur le lieu.
Il y a deux ou trois ans en prenant le train j’ai croisé des gens qui parlaient du pays, je les ai accosté pour leur demander d’où ils étaient ; c’étaient des syndicalistes de Condé-sur-noireau ils venaient régulièrement à Paris négocier des indemnités pour les amiantés. Le grand public a commencé à en entendre parler dans les années 70. Des chercheurs de l’université de Jussieu à Paris se plaignaient de poussières qui venaient troubler leurs expériences chimiques. Il a fallu attendre encore 20 ans pour que le scandale éclate vraiment et que l’on s’aperçoive que les industriels et experts à leurs bottes savaient mais ont continué à exploiter et nier la dangerosité de ce produit. Je n’ai pas le courage de parler de ces criminels impunis.

Et le Marcel dans tout ça ? Vous me direz ! Il a profité de sa retraite étant pris assez tôt pour que l’on sauve un de ses poumons. Accroché à sa bouteille d’oxygène, il regardait les paysans travaillant leurs champs en se disant, avec un soupçon de regret, « ainsi va la vie ! ».

samedi 17 février 2018

En attendant les mots croisés

Aujourd’hui c’est Vendredi.

Le Vendredi était un jour particulier pour Maman. Elle recevait les mots croisés d’Ouest-France. Des mots croisés de Laclos relativement compliqués. Si le journal venait à manquer la journée était gâchée. Son premier travail était de me les envoyer par mail, elle ne manquait jamais ce rituel. Après elle n’était plus joignable jusqu’à ce que la grille soit remplie.

Aujourd’hui j’ai ouvert mes mails. Les mots croisés n’y figuraient pas. Ils n’y figureront plus jamais d’ailleurs!. Ce n’est pas le fait des mots croisés, je ne les faisais pas toujours, de temps en temps seulement. Ce qui me manque c’est autre chose une ambiance, une atmosphère. Ce genre de choses qui deviennent des souvenirs s’éloignant de la réalité au fil des jours s’égrenant.  C’est bizarre lors de la perte de quelqu’un de cher, on s’accroche à des choses que l’on ne voudrait pas oublier, des moments qui retiennent la personne disparue à portée de pensée. 

L’usure du temps rognera petit à petit ces souvenirs. C’est ainsi, le cerveau est bien conçu il n’est pas brutal, il évapore la personne disparue comme le brouillard se dissout dans un matin d’automne. Même en s’accrochant à ces sensations, le rythme du temps fait que, comme sur une route, on s’éloigne de la présence de l’être disparu. C’est sûrement mieux ainsi, la vie continue sa course inexorable. Des bribes reviendront de temps en temps nous rappelant les atmosphères dont je parlais plus haut.

Ces derniers temps, signe d’une fatigue implacable, Maman avait plus de mal à finir sa grille et malgré sa hargne connue, il lui arrivait plus fréquemment de jeter l’éponge avant la fin. Son dernier geste à la table a été de remplir quelques cases d’une grille a jamais terminée. 

Voilà ce n’est qu’une histoire de mots croisés, c’était une partie importante de la vie de Maman.

La mort n’est pas une fin en soi.

Nous ne savons rien du devenir de la personne décédée, beaucoup de gens en ont tué beaucoup d’autres pour imposer leur façon de voir la mort.
Pour les proches, pour qui le début d’une autre vie commence, ce n’est pas une fin en soi.
Bien sûr la vie ne va pas être bousculée mais cet événement va modifier son contexte et du jour au lendemain il faut intégrer ce changement.
La famille est une chaine avec pour maillons les personnes, quand  le maillon le plus vieux  tombe la chaine reste solide. C'est plus grave lorsque qu’un maillon du milieu tombe, la chaine devient plus fragile.

Nous apprenons beaucoup de nos parents.
Ces dernières années j’ai appris beaucoup sur ma mère. Elle me racontait des fragments de sa vie comme des puzzles à reconstituer. Je me suis posé la question de savoir pourquoi ces épisodes arrivaient parcimonieusement comme s’il y avait de la pudeur et que point trop fallait en dévoiler à chaque fois. Je me suis aperçu malgré tout qu’elle avait vécu de bons moments, ce dont je doutais, en espérant que ce ne soit pas que de la nostalgie. Elle m'a permis de pouvoir raconter certaines histoires.
Maman avait un dictionnaire de dictons implacables qui lui régulait sa vie.
J’en citerai  quelques-uns : Il y a plus malheureux que nous ; à un cheval donné on ne regarde pas la dent, on fait ce qu’on peut pas ce qu’on veut, c’est le bon dieu qui décide, c’est le destin, il faut mériter sa vie enfin ce dernier, je ne sais si elle le disait mais elle me l’a imposé. Je me battais quelques fois avec elle lorsqu’elle lançait ces flèches empoisonnées en lui disant qu’elle pouvait jouer sur le curseur de sa vie et essayer de voir les choses avec optimisme. C’était peine perdue. On ne peut pas donner du bonheur à quelqu’un malgré lui ; juste un peu de confort; c’est un regret que j’aurais.
Cette façon d’être lui a été inculquée dès son enfance je pense, elle a su qu’elle serait la remplaçante d'une sœur décédée. Il n’était pas question de psy dans son monde.  Ce caractère forgé comme un maréchal ferrant tord le fer la poursuivra toute sa vie. En ce qui me concerne en tant qu'enfant peut-être lui manquait-il un peu de fibre maternelle? mais elle a tout fait pour que l’on soit bien.

Elle aura connu la majeure partie de l’évolution du vingtième siècle.
Elle a quitté le monde paysan du 19eme siècle pour entrer en  pleine révolution industrielle. Elle a subi l’occupation allemande dont elle disait ne pas en avoir souffert. Après c’étaient les bonnes années à la ferme ou un monde grouillait avec une convivialité à jamais perdue. A cette époque les parents étaient patron.  Puis la mécanisation est arrivée, les commis et hommes de journées sont partis à l’usine et la banque est devenu le patron (impersonnel comme disait Steinbeck)  Maman a eu du mal à l’accepter elle s’est retrouvée enfermée seule dans sa salle de traite, comme à l’usine, se rappelant la traite aux champs avec les gens chantant et discutant sans arrêt. J'ai appris cette abnégation à cette époque et l'ai vraiment vue basculer dedans.
On aurait pu la croire réfractaire à l’évolution mais quand ses petits enfants ont débarqués chez elle avec leur GameBoy elle a décidé d’en acheter une afin de partager des choses avec eux. Puis elle a poussé son mari à l’emmener aux cours d’informatique et c’était une fierté quand j’en parlais à mon travail. Elle avait un côté artiste, tricotant des pulls qui ont fait les beaux jours des écoles jusqu'à Paris.Sur l'ordinateur elle confectionnait ses cartes de tables pour les fêtes.
Pour Maman la vie devait se mériter et même dans ses loisirs il y avait une abnégation qui me faisait froid dans le dos.
Je ne voudrais pas la quitter sans me souvenir de son humour sans en avoir l’air. De Nicole sa personne de compagnie elle disait : "elle me raconte la vie à l’extérieur c’est mon Google à moi"
c'est sa dernière blague il y a tout juste quelques jours.
Voilà cette génération a vécu beaucoup plus de choses que nous ne pourrons en vivre et j'espérais encore la questionner sur cette époque car il ne reste plus beaucoup de témoins.
Pour ceux qui croient, maman est partie retrouver son mari avec lequel je me souviens d'un couple heureux et complémentaire.
Dans tous les cas elle doit reposer quiète et en paix avec la vie.

vendredi 16 février 2018

Digression autour d'un bouchon

Je me réveille, m’assois au bord du lit et tend la main vers la bouteille d’eau. Je dévisse le bouchon, il quitte ma main et va rouler sur le sol je l’entends continuer sa course pendant quelques secondes.
Ne le voyant pas sur le sol, je pense qu’il a du se cacher sous le lit. Avec mon mal de dos je ne peux pas me baisser et décide donc de pousser le lit. Je me cogne les doigts de pied ; je ne sais pas si vous avez essayé entre le lit et vous c’est toujours le lit qui gagne. D’un geste brusque je me retourne et là c’est mon coude qui attaque la bibliothèque, encore perdu. Ce sont toujours les objets inertes, semble-t-il, qui remportent la victoire ou alors ils sont plus durs à la douleur que nous?

A partir de ce moment, une personne ayant toutes les capacités nécessaires de  la réflexion devrait s’arrêter. La loi de Murphy est claire sur ce point : dans le monde il y a  toujours quelqu’un pour emprunter la voie de la catastrophe.

Donc deux solutions. La première est de se dire « le bouchon peut continuer sa course folle à explorer tout l’univers sombre des dessous du lit je m’en fiche ! » La deuxième, plus hardie et revancharde, est de se dire «je ne me suis pas fait mal pour rien je continue le combat ! » mais comme il est dit plus haut les choses gagnent souvent à ce jeux. A ce moment je pense, je ne sais  pourquoi ? À cette association qui collecte les bouchons en plastique et me dit « Je les plains ! tous ces bouchons qui roulent partout, bon pas sous le lit, mais dans tous les coins ! » Peut être pourrais-je  les contacter pour monter une association des victimes de ces ronds de plastique? Heureusement la loi de Murphy ne prend pas en compte le coté comique de ces situations il faut toujours avoir un peu d'autodérision pour relativiser.

Avec de la chance un jour je vais marcher dessus pieds nus, m’ouvrir le pied et boiter pendant deux jours. Je dis « avec de la chance ! » ce serait plutôt de la malchance. Certains diront «Lui, il n’a pas de chance ! » Alors là je dis « non ! » j’ai horreur qu’on dise « tu n’as pas de chance! » comme si la malchance avait un côté définitif, tu ne peux pas lutter contre. Comme si lorsque tu nais une bonne fée se penche sur ton berceau et avec sa baguette elle te dit « tu seras chanceux ! » alors que pour d’autre  il n’y avait plus de fée disponible ils envoient donc une stagiaire qui, ne connaissant pas le boulot, prendrait sa baguette à l’envers au moment de prononcer sa phrase magique. Il est vrai aussi que pour avoir des chanceux il faut des malchanceux quelqu’un qui gagne au loto est chanceux grâce à tous les malchanceux qui ont perdu. Je suis persuadé que la chance tourne.

Tout ça pour dire que je ne crois pas à un état dont on ne pourrait aller contre.

Le bouchon n’a qu’à continuer sa vie de son côté, un jour un aspirateur l’avalera se sera un juste retour des choses, là la chance aura tourné pour lui. Je pourrai me consacrer à aller de l’avant vers d’autres aventures, plus dangereuses les unes que les autres, et, avec un peu de chance, je survivrai.

mardi 6 février 2018

La vie, un long fleuve

La vie est un long fleuve, pas toujours tranquille comme le dit un titre de film.

Comme l'eau jaillit de la source à la lumière du soleil, l'enfant jaillit de la source maternelle à la lumière de la vie.

Un ruisseau coule hésitant dans les herbes folles et grossit se nourrissant du liquide aqueux. Au fil du temps ce petit ru se dissipe, il devient un petit torrent parfois casse-cou parfois dormant.
C'est l'enfance.

Il grandit toujours s'écartant quelquefois de sa route puis revenant dans le droit chemin.Parfois il lui arrive de se tarir et son histoire s'arrête là.
Au fil des kilomètres il grossit devient un torrent impétueux, parfois indiscipliné, parfois soumis au relief accidenté l'entourant.
C'est l'adolescence.

A ce moment on ne sait pas s'il va être un rapide tumultueux ou  si des courants plus calmes vont l'assagir. Il y a des écueils, des rochers qui le déchirent et le rendent encore plus incontrôlable mais il se calme au contact d'autres il s'enrichit connaît la paix et la sérénité.
C’est l’âge adulte.

D'autres rivières viennent former avec lui un fleuve large et joyeux que nourrissent d'autres ruisseaux. Il y aura des accidents de la nature ou il deviendra fougueux voire rageur dans ces rapides de la vie.

Toutefois la plus part du temps c'est un long ruban avec des méandres qui nourrit la nature environnante. Une usine, des déchets pourront lui donner un cancer; son eau devient alors glauque, noire et insipide. S'il arrive à en guérir, il poursuivra sa route de plus en plus lentement. Pour se jeter dans cet océan d'éternité.

Nous venons de l'océan, nous avons été nourris dans le ventre avec un liquide ayant la même salinité que l'océan. Nos larmes, notre sueur contiennent la même dose de sel que la moyenne des mers.

Comme le fleuve nous retournons à l'océan pour nourrir d'autres vies.

mercredi 17 janvier 2018

Hommage!

« Tu n’es pas fait pour les études, tu vas travailler ! » Voilà la sentence est tombée. C’est vrai que mes années de collège ne sont pas glorieuses ; deux redoublements, un échec au BEPC. J’ai passé ces années à rêver. Le réveil est brutal. Le directeur du collège, derrière son bureau, nous fait face à mon père et moi il balance sa phrase sans espoir. Je me dis « où est ce que cela a merdé ? » je pense également que pour ce directeur ce devrait être un échec aussi ; mon père n’en a pas eu pour son argent, lui qui voulait faire les choses bien. Ce dernier est trop respectueux de la fonction pour mettre en cause ce jugement suprême.

Des années d’errance vont suivre faites de travaux à la ferme et de travail en usine. Puis une phrase : « vivement l’année prochaine ! » dite par les ouvriers qui reviennent de vacances. Une question m’envahit : « faut-il passer onze mois à attendre le mois de vacances toute sa vie ? » un vertige me prend. Je demande à voir le directeur pour donner ma démission.

Fier de ma décision, je vais à l'ANPE ne serait-ce que pour m'y inscrire. Dans notre monde vous pouvez travailler, être au chômage, crever de faim, faire la manche l'important c'est que vous soyez dans le circuit, rattaché à une quelconque administration sinon vous vous marginalisez et petit à petit vous n'êtes même plus un numéro, vous n'existez plus. Mort socialement avant de mourir cliniquement.

Là on me dit si vous voulez avoir un travail intéressant il faut retourner à l'école ! J’ai du mal à m'imaginer à vingt-cinq ans me retrouver avec des gens de dix ans plus jeunes. L’idée que je me fais de l'école est celle que j'avais quittée quelques années plus tôt. Pour rien au monde je ne veux revenir dans ce milieu. Puis quelqu'un me dit, "vous sortez du monde agricole je connais un organisme qui pourrait vous convenir".

 Je vais donc passer des tests à Maltot, commune à côté de Caen. Là je me retrouve dans un paradis (si! ça existe! J’y suis allé). Les tests d’entrée sont des QCM, pas des tests de QI. Ce sont des entretiens et une dissertation jugeant de votre motivation et de votre ouverture sur le monde. Les sélectionnés passeront une année scolaire ensemble, le but étant de les emmener à un « niveau première » pour passer des concours d’entrée en FPA. Les tests brillamment passés, on me demande vers quelle filière entre scientifique ou littéraire je désire m'orienter; je leur dis que je préfère le littéraire. On me rétorque que, me débrouillant pas trop mal en dissertation, vaudrait mieux aller en scientifique combler certaines lacunes. Je leur fais confiance et me lance dans l'aventure. Je parlais de paradis plus haut, ce n'était pas déplacé. Nous arrivons dans un château on nous sommes pensionnaires. Les professeurs sont toujours disponibles certains même, habitant à côté, ne rechignent pas à venir aider les personnes qui le désirent, le soir. Il y a une auto émulation dans le groupe, les plus forts aidant les moins bons. Tout le monde doit progresser en même temps.

La plus part des gens ici sont des laisser pour compte de la société. Certains même sont des inadaptés sociaux, malades de leur handicap scolaire. Des rejetés de la vie, des personnes n’entrant pas dans des formats prédéfinis avant leur naissance. Je comprendrais plus tard que les plus instruits ne sont pas forcément les plus intelligents mais les plus malléables au système. Ici le système est simple, ceux qui suivent les cours relativement facilement se transcendent en aidant les autres et ces derniers se sentant soutenus progressent aisément, la boucle est bouclée. 

Cela fonctionne si bien que les professeurs sont parfois obligés de nous faire redescendre sur terre, mous sommes tellement confiants que nous ne doutons plus de rien, nous connaissons tout. Le laisser aller nous gagne! Un jour, n'étant plus motivés, nous écoutons d'une oreille distraite le prof de maths; le lendemain celui-ci entre dans la classe, efface le tableau et fait un cours sur les mathématiques quantiques; une demi-heure plus tard, il quitte la classe en disant :" je m'absente quinze minutes si vous avez des questions j'y répondrais !». Bien sûr nous n'avons rien compris, et sommes redevenus plus humbles, appréciant le chemin encore à parcourir.

C'est fort, l'école à l'envers, je ne savais pas que cela pouvait exister. Faire découvrir aux élèves leurs possibilités afin qu'ils progressent d'eux-mêmes, qu'ils soient demandeurs. Si on m’avait expliqué au début que l’école est faite pour s’enrichir, acquérir des outils pour l’avenir ; seulement des outils ; je n’y serais pas allé la peur au ventre d’être jugé et parfois même d’être moqué par un prof voulant rallier la classe à lui. Je progresse beaucoup cette année-là, progresser techniquement et aussi intellectuellement, j'ai pris confiance en moi, pris conscience de mes possibilités, que je pouvais apporter des connaissances à mes camarades. Bien sûr je suis content de mes réussites scolaires, mais les plus grands bonheurs ont été les mercis de mes copains quand ils ont réussi leur examen; rarement je ne ressentirai cette joie.

Ce que j'ai appris là-bas c'est être fier de soi et ne pas en être honteux; l'éducation judéo-chrétienne vous pose des carcans, difficile de s'en défaire. Les professeurs de cet établissement devraient être décorés de l'ordre du mérite, ils travaillent dans l'ombre, car pour eux le but n'est pas d'être célèbre.
Je peux citer un exemple: Jean est une personne qui arrive au château, il me demande de remplir son questionnaire car il a honte de son écriture et de ses fautes. Garçon renfermé, il progresse à petit pas. Au milieu de l'année un stage en Angleterre de trois semaines est proposé. Lui, qui n’est jamais sorti de chez lui, le voilà parti en Irlande où il va passer tout le séjour avec un berger. Lui-même n'en est pas revenu (enfin si il est revenu, blague !) de pouvoir ne serait-ce que d'essayer. Comment sublimer des gens comme lui? De mon côté, je ne soupçonnais pas le savoir que j'ai accumulé toutes ces années. Je me demande comment j'ai pu passer à côté de ces matières qui me fascinent maintenant, à en passer des nuits à résoudre des exercices à essayer d'expliquer aux autres, c'est la meilleure façon de savoir si on a compris.

C'est quand même aberrant de constater le gâchis, où toutes ces années, passées sur un banc d’école, résumées en un an. Je progresse à des années lumières, me retrouvant dans cette dernière (lumière). De toutes ces satisfactions une a dépassé le lot, nous avions une dissertation à faire sur "pour ou contre le boycotte de la coupe du monde 78 en Argentine" bien qu'étant en scientifique ma dissertation a été lue dans toutes les classes. J’ai le triomphe modeste, disant que ce n’est pas grand-chose (éducation?), alors que j'ai tout donné dans cet exercice et que oui je savoure mon triomphe.Je suis rentré dans cet organisme avec seulement le niveau BEPC à la fin de l'année, étant à un bon niveau je réussi l'examen équivalent BAC, passeport vers l’université.

C'est le côté visible, la sanction de ce parcours, la confiance en soi est un apport non mesurable. Pendant cette année, j’apprends à aimer le théâtre, même d’avant-garde comme il y en a Caen . Des auteurs qui me sont inconnus. J’apprends à aller au concert, à des manifestations publiques etc. De fait, je me retrouve dans un milieu qui me convient parfaitement alors qu’il m’était inconnu. Je suis allé militer contre la torture en Argentine, vu des gens qui avaient vécu ces horreurs. J’ai assisté à des débats anti-nucléaires entre les ultras et les gens d’EDF. J’ai rencontré des personnes intéressantes. Enfin je ne vois rien à rejeter de cette année charnière pour moi. Merci à ceux qui ont fait que ce soit possible.

Je voulais rendre hommage à ces gens qui ont permis cela. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus, mon bonheur serait qu’il puisse lire cela pour leur faire comprendre qu’ils ont réussi des performances insoupçonnées.

Ce sont des bâtisseurs de vie!

mercredi 11 mai 2016

L'usine

Décidant de quitter la ferme, je vais voir le monde ouvrier.

Je trouve un emploi dans la fromagerie à quelques trois kilomètres. Je reste dans un milieu semi-agricole. C'est étrange de vivre à côté d'un monde aussi différent, de côtoyer des gens dont on ne connait pas le contexte dans lequel ils évoluent.

Je suis fort physiquement, je savais faire un tas de chose à la ferme on touche à beaucoup de métiers. Là j'ai du mal à m'habituer, en fait on n'a pas besoin de tête, mais de bras, de machines évoluées, d'ailleurs plus tard on nous remplacera par de vraies machines. Je me souviens d'un dessin d'un humoriste où les gens se rendent aux vestiaires de l'usine, rangent leur tête sur des étagères et partent travailler, ne reprenant leur bien qu’à la sortie. Il y a du vrai là-dedans.

Je me trouve dans un univers de misère intellectuelle, je ne soupçonnais pas cela. Il faut dire que l'usine emploie quelques personnes simplettes, mais les autres ne relèvent pas le niveau. Ce n'est pas une critique mais un état de fait, je ne juge pas ces gens mais me sens étranger. Dans ce monde il y a en permanence de la violence, qu'elle soit verbale, physique ou sexuelle. Ce n’est pas forcément très visible mais une injure, une main aux fesses, un pelotage, une blague salace.
Il y a aussi des violences plus fortes, je travaille avec une personne assez petite et hargneuse. Nous formons un binôme pour retourner des fromages. Nous manipulons des plateaux de plus de vingt kilos les prenant sur une pile et formant une autre pile à côté ; le plaisir de mon collègue est d'essayer de me coincer les doigts quand nous posons le plateau. J'essaie de comprendre pourquoi il fait cela, en fait les employés essaient de se donner un rôle supérieur à l'autre, c'est leur façon d'accepter leur condition. J’essaie de discuter avec cette personne mais tout est rapport de force et insulte, alors je me tais et prends soin de mes doigts. 
Vivre huit heures avec un type en face de vous qui ne pense qu’à vous faire mal est épuisant. Plus moralement que physiquement. J’aurais pu l’écraser mais je ne suis pas assez méchant, la méchanceté est un atout dans ce monde cruel, je n’ai pas cette notion de supériorité. En fait l'humain n'est pas fait pour remplacer les machines. Il doit se donner des palliatifs à cet état, le système est fait de telle sorte qu'il ne peut se rebeller de sa condition que devant un quidam, sachant qu'il ne peut agir sur ses supérieurs. En se comportant de la sorte avec moi, ce type assouvit son besoin de personnalité que lui ôte son emploi. J'ai un autre binôme, celui-ci me raconte des histoires de sexe tout au long de la journée. Il me relate ses exploits, enfin surtout imaginaires, au début on essaie de rire, d'apprécier mais au bout d'une heure on a envie de lui dire de la fermer. J’essaie de dialoguer avec lui, il m'en dit plus que le premier. Il me raconte qu'il était soudeur de haut niveau avant ; qu'il gagnait très bien sa vie, il a eu un accident et depuis il a des maux de crâne. Il est condamné à rester ici, à raconter ses histoires de cul.

Le patron des usines va chercher des travailleurs étrangers, des Marocains ici en l'occurrence. Ces derniers sont une quinzaine, ils habitent tous dans une grande maison à cinquante mètres de l'usine. Un côté pratique pour le patron, si quelqu'un est absent, le contremaître va chercher un des Marocains qui est de repos ou de l'autre équipe. Dans un bourg de 2100 habitants voir débarquer ces immigrés est étrange quoique cela ne pose pas de problèmes racistes. Certains de ces Marocains ont même intégré le club de football. A l'usine, vu la promiscuité c’est un peu différent, nous faisons la journée continue, c'est à dire huit heures d'affilée entrecoupées d'une pause de vingt minutes. Pendant cette pause nous sommes tous dans une petite pièce, et les blagues fusent auxquelles succèdent les insultes. Un jour un pauvre type, un peu niais, n'arrête pas d'asticoter un Marocain celui-ci, à bout, lui lance un couteau qui va se planter dans la porte à deux centimètres du type impliqué.
Deux jours plus tard ne voyant pas arriver ce dernier le contremaître va comme d'habitude dans la maison des immigrés en chemin il découvre le type dans un fossé laissé pour mort, il fait deux jours d'hôpital. Je me sens, comme je le disais, étranger dans ce monde, un monde où chacun, malgré le fait qu'il est comme tous, cherche un rapport de force pour se donner une place, se démarquer des autres. Certains dénoncent leurs collègues aux chefs, d'autres montrent leur puissance devant les femmes en les touchant, certaines femmes excitent les hommes. Des femmes, mères de famille que j'ai vues en dehors de ce lieu. D'autres enfin utilisent leurs forces pour s'imposer dans une société ou le vrai pouvoir n'appartient qu'au directeur et aux chefs.

Nous travaillons six jours sur sept, nous devons être présent un dimanche par mois à peu prés. Ce jour-là nous pouvons partir plus tôt une fois le travail fini. Nous faisons le travail en six heures trente au lieu de huit. Si quelqu'un ralentit la chaîne il se fait réprimander par ses collègues. Arrive ce qui devait arriver, faisant le travail plus rapidement le Dimanche, le directeur augmente la cadence dans la semaine.

Le seul avantage de ce travail est qu'il peut occuper des gens simples au lieu de les laisser an ban de la société. En revanche il ne faut pas croire que c’est une action sociale, ces ouvriers sont surexploités pour un salaire de misère. Les chefs n'hésitent pas à se servir de ces personnes qui n'osent rien dire. L’envie de dire à ces gens "allez voir ailleurs!" me tenaille, mais pourquoi les déranger dans leur quotidien ils semblent sinon heureux du moins faire leur vie.

Quant à moi, je comprends vite que je ne peux rester dans ce monde. Le directeur, en m'embauchant m'avait laissé espérer une place de responsable; je vais le voir, il me déclare : « vous n’avez pas le niveau ! » je lui réponds que je vais aller chercher ce niveau. Je donne ma démission.

mercredi 4 mai 2016

La course

J’ai toujours aimé courir ! Il est vrai que j’ai passé ma jeunesse dans une ferme avec quarante hectares de verdure. Mon père nous demandait d’attraper les veaux pour les soigner ; nous attrapions leur queue et nous nous laissions trainer par l’animal. Puis, plus grands, ce sont après les taureaux que nous courions ; j’ai écrit un texte à ce sujet : « Normandy rodéo ». Bon j’ai vite appris à courir tout seul, d’abord on n’a pas toujours un taureau sous la main puis seul on se maitrise mieux.

C’est au collège, le Petit Sem pour ceux qui connaissent, où j’ai commencé la course. En cours de « Gym » nous faisions du cross (beaucoup appelle ça du footing maintenant) j’étais le meilleur de ma classe jusqu’en quatrième. Un nouveau est arrivé et a contesté ma supériorité, il gagnait souvent. Je courais avec lui et dans les montées il accélérait, je le laissais partir me disant que je le rattraperais mais la plus part du temps il avait trop d’avance. Je me suis dit qu’il fallait que je change ma façon de faire et j’ai appris à me faire mal faisant croire à l’adversaire que j’étais à l’aise. Les résultats se sont équilibrés. Une sélection a eu lieu avec toutes les écoles du coin pour le championnat de Normandie, tous les deux nous étions les favoris. Mais voilà j’aimais le foot et avant la course j’ai joué plus d’une heure, bien que mon prof me disait de me concentrer sur la compétition. C’est mon collègue qui a gagné je suis arrivé loin derrière ; au championnat de Normandie il a fini troisième; je n’y suis pas allé.

J’aime courir pour plusieurs raisons. L’amour de la nature d’abord ; bien que, courant la plus part de temps sur un même circuit, la nature n’est jamais la même d’un coup sur l’autre. Je cours aussi pour mieux me connaître, pas seulement physiquement ; le mental a son importance ; le dépassement de soi et le fait de se dire « encore un tour ! » Quand le physique lâche un peu le mental prend le dessus et vice versa.

A Paris pendant ma vie professionnelle, j’aimais habiter près d’un bois, le bois de Vincennes en l’occurrence. Au début il était traversé de route et les voitures y étaient reines, il y avait même des fourgonnettes de prostituées avec des voitures derrière dont les conducteurs « faisaient la queue ! » si j’ose dire. J’appelais ces lieux des « terrains de pénis » (jeu de mot). Puis les voitures ont été interdites et les sportifs sont devenus les rois.

Le travail stressant, les responsabilités importantes, les programmes plein la tête, faisaient que j’avais besoin de décompresser. Je me levais vers cinq heures du matin pour faire quatre à cinq kilomètres autour du lac. Souvent en pleine nuit. Je faisais des rencontres hasardeuses; les prostitués hommes avaient remplacé les femmes et il n’était pas rare de voir surgir un type d’un buisson à ma grande frayeur. Un jour faisant des assouplissements à l’aube naissante, un type m’accoste et me dit : « J’ai fini mon boulot, je rentre ; si tu veux je te fais une petite gâterie pour terminer en beauté !» Je le remercie mais décline sa proposition. A l’entrée du bois la seule prostituée présente discutait souvent avec des gens de connaissance elle ma inspiré un petit texte « Lola ».

C’était le meilleur moment de la journée quand je rentrais épuisé et vidé des soucis avant d’en affronter d’autres. La course me permettait de décompresser et bizarrement de résoudre des problèmes ; il m’est souvent arrivé de trouver des solutions pendant ce sport ; une fois je me suis même arrêté tellement une solution évidente m’est apparue . Je m’en suis servi au travail, en laissant reposer un travail pour qu’il se résolve en partie tout seul.

Le Dimanche je courais une trentaine de kilomètres, souvent seul, parfois avec des marathoniens ; je n’ai jamais voulu faire le marathon. Il fallait se présenter trois heures à l’avance pour être bien placé et courir sur le macadam ne me convenait pas.
Je me suis amélioré grâce à Alain Mimoun (Champion Olympique d'Algérie Française, comme quoi la France aime les algériens.. surtout les champions) Au cours d'une interview Mimoun disait "je cours en inspirant pendant 4 foulées et expirant 4 autres foulées". Avant je courais comme un dératé comme on dit ici, j'ai donc changé. Au début, c'est contraignant, moi qui aime la liberté, mais plus tard cela devient naturel. Je compare souvent le coureur au plongeur en apnée; dans un footing on passe des paliers un palier passé et ça va mieux jusqu'à arriver au prochain. En vieillissant  la façon de courir est la même sauf que les paliers sont de plus en plus rapprochés. J’ai aussi connu l'ivresse du coureur de fond; c'est un moment où on se sent particulièrement bien, on ne ressent plus de fatigue mais il ne faut pas en abuser car c'est un moment de déconcentration totale qui peut être dangereux.

« Rien ne sert de courir il faut partir à point » dit La Fontaine; c’était un grand fabuliste mais un piètre marathonien car « partir à point ! » d’accord! Mais va gagner un marathon sans courir. Bon je sais les puristes vont …

J’ai couru partout où j’allais, aux Etats-Unis, Canada, Inde, Tunisie, Maroc.. Etc. je ne restais pas plus d’une semaine sans chausser mes tennis.

Voilà après une dizaine de milliers de kilomètres je suis revenu au point de départ. Je revois les champs ou j’ai commencé bien sûr ils sont transformés en labour (moins pratique pour courir) mais ça j’en ai déjà parlé dans « pour quelques quintaux de plus ! ».

La course a été pour moi un remède à la frénésie et aux erreurs de la vie.

Ce matin, l'info!

  Ce matin, comme souvent, je prends mon petit déjeuner en écoutant les infos pour savoir comment tourne le monde. Il ne tourne pas rond. T...