Il se lève
ce matin, la tête bourdonnant des climatiseurs et épurateurs d'air qui
ronronnent sans arrêt, le retenant à cette vie précaire. Par la vitre sale, il
voit la boule de feu déjà en action asséchant encore le peu qui puisse rester
de viable. Son souvenir des nuages se dissipe de jour en jour. Il sait que
bientôt il ne pourra plus se rappeler ne serait-ce leur forme dans le ciel. Ni
la goutte d'eau qui vient s'écraser sur votre front donnant une impression de
fraîcheur. Les dernières pluies ici étaient acides, il fallait justement éviter
de les recevoir. Comment en est-on arrivé là ? Cette question lancinante lui
trotte dans la tête. Question sans aucune importance maintenant.
La couleur
verte a disparu du paysage laissant le brun et le noir s'installer; est-ce une
simple question de couleur? Forcément non mais peut-on lui enlever jusqu'à
cette notion?
L’Homme cela lui a pris comme ça, comme dans un rêve démentiel. Un
cauchemar.
D'abord il a voulu mettre son image partout, se mettre en publicité, en
actualité. Il abat les arbres, déforeste, pour en faire du papier, des
affiches. Il a commencé à cacher le paysage, comme s'il voulait ne pas voir ce
qu'il détruisait.
Puis il a construit des maisons de plus en plus grandes. Bien sûr il plantait
un arbre de temps en temps pour en garder le souvenir. Les Immeubles
grandissant ont commencé à couvrir les arbres de leur ombre, ces derniers sont
morts desséchés. Le béton a remplacé le parc naturel couvert d’herbes folles.
Il a voulu se déplacer, il invente donc des machines, il faut les nourrir ces
machines. Heureusement la terre nourricière est là avec ses réserves de
pétrole. On pille et même si quelques cargos chavirent, laissant de larges
larmes noires sur la face de la mer, on se dit que le jeu en vaut la chandelle.
La flamme il faut pouvoir la laisser allumée, comme l'homme de Cro-Magnon
voulait la préserver. Les usines et les véhicules crachent leur venin invisible
trouant notre toit protecteur. Empoisonnant notre air.
Il y a bien
des alertes, Seveso, Bhopal, Tchernobyl etc. Mais on se dit que se sont des erreurs
qui ne se reproduiront plus. Après un instant de stupeur, la frénésie reprend ;
surtout que les profiteurs n’habitent pas auprès de ces bombes en puissance.
L'Homme est donc pris d'une frénésie, non seulement il ne veut pas s'arrêter
mais il court, il casse, il tue. Bientôt les forêts disparaissent laissant
place à des langues de terre desséchées que même les fleuves ne peuvent
abreuver. Des mers s'évanouissent découvrant des carcasses de cargos, des
neiges d'antan s'évaporent vieilles de milliers d'années.
L'Homme il lui a fallu 50 ans pour assécher sa
terre nourricière. On respirait encore à l'époque mais la dioxine et les gaz
que génèrent les déchets remplacent notre gaz vital. L'Homme n'est pas à cours
d'idée il crée des masques pour pouvoir continuer sa destruction, Le masque lui
permet aussi de se cacher. Au début on s'interroge on voit des cyclistes
masqués puis on s'habitue. On entend parler de pluies acides, mais pour l’instant
ce n'est pas encore très inquiétant ce ne sont que de petites pluies.
Il ne fallait pas accepter, dès le début, car il suffit aux pollueurs de gravir
les paliers plus ou moins sensibles de la résignation. On parle du futur mais
les puissants ne vivent qu’au présent, ils prennent et ne se projettent pas
dans l’avenir, le futur même de leurs enfants.
L'eau est
devenue rare, ce sont les pays pauvres qui ont commencé à mourir. Dans les pays
riches on a pompé tout ce que l'on pouvait pomper. Les mers, les glaciers, les
nappes souterraines tout y est passé reculant de quelques années le cauchemar
que d'autres vivaient.
Des îlots, des oasis se sont créées entourées de murs et barbelés gardés par
des armées. Des millions de gens y ont péris autour ; faute d'eau ils y
ont versé leur sang. Maintenant ce sont les dirigeants, les vrais pollueurs qui
y vivent, pour combien de temps encore.
Ou est passé cette cascade sur la rivière. Elle déployait son rideau de brume
aqueuse que venait illuminer le spectre coloré du soleil. Le promeneur, armé de
patience, aurait pu y voir un écureuil s'y rafraîchir ou ce raton laveur sécher
ses poils brillants à la chaleur des rayons. Tous les sens y étaient mis en
éveil.
L'ouïe d'abord avec cette mélodie de l'eau sur les rochers, rehaussée de chants
d'oiseaux et ponctuée de bourdonnements d'abeille.
L'odorat ensuite par le bouquet de l'herbe humide agrémenté des parfums de
fleurs des prés.
Le goût après en se rafraîchissant de cette onde; croquant une fraise sauvage.
Le toucher en laissant filer entre ses doigts cette force insaisissable.
La vue bien évidemment, imaginant qu’il y a plusieurs milliers d'années de cela
quelqu'un assistait au même spectacle.
Où sont tous ces plaisirs à jamais disparus? Pendant plusieurs millénaires des
hommes ont pu y goûter. En quelques décennies tout a disparu, l’eau, l’herbe,
les fleurs, la musique plus rien de tout cela. Tout n'est plus que sable,
poussière (tu retourneras poussière !).
A l‘échelle
de l’âge de la terre, 50 ans n’est même
pas une seconde. Je regrette d’avoir vécu cette seconde.
Pourquoi se ressasser cela sans arrêt? Cela ne sert à rien, si c'était à
refaire, l'Homme recommencerait. Ce serait le jet d'un sac plastique qui
naviguerait jusqu'à la mer. Car tout a commencé comme ça un geste simple sans
conséquence qui se multiplie à l'infini, l'égoïsme nous permettant de croire
que l'on a le droit d'agir ainsi. Ce sont ces politiques soutenant les
compagnies pétrolières qui en sont responsables. Ce sont eux qui rendront des
comptes au banc de la société, au grand tribunal des amoureux de la terre, ils
seront condamnés pour crime contre la nature; crime contre nature pourra-t-on
vraiment dire.
L'homme se ressasse tout cela en songeant qu'il n'a pu rien faire. Va falloir
qu'il mette sa combinaison, son masque, ses bottes pour aller chercher de quoi
se sustenter. Il va partir pour sa quête finale. Arpenter ces rues balayées par
un vent de sable. Il se couvre entièrement, la moindre surface de peau offerte
au soleil brûlerait instantanément. Il doit chercher quelques trous ou
récipients dans cette ville contenant un liquide poisseux lui permettant de
s'abreuver. Il est conscient que si ce n'est aujourd'hui qu'il périra, ce sera
certainement demain.
Demain il y a longtemps voulait dire espoir, depuis peu ce mot, Demain, pour
lui veut dire mort.
Dans une
année lumière de là, une vie apparaîtra sur une autre planète. Les nouveaux
êtres verront la terre comme une planète inhospitalière ne pouvant accueillir
la vie.
L'histoire se serait-elle déjà répétée ?