Décidant de quitter la ferme, je vais voir le monde ouvrier.
Je
trouve un emploi dans la fromagerie à quelques trois kilomètres. Je
reste dans un milieu semi-agricole. C'est étrange de vivre à côté d'un
monde aussi différent, de côtoyer des gens dont on ne connait pas le
contexte dans lequel ils évoluent.
Je suis fort
physiquement, je savais faire un tas de chose à la ferme on touche à
beaucoup de métiers. Là j'ai du mal à m'habituer, en fait on n'a pas
besoin de tête, mais de bras, de machines évoluées, d'ailleurs plus tard
on nous remplacera par de vraies machines. Je me souviens d'un dessin
d'un humoriste où les gens se rendent aux vestiaires de l'usine, rangent
leur tête sur des étagères et partent travailler, ne reprenant leur
bien qu’à la sortie. Il y a du vrai là-dedans.
Je me
trouve dans un univers de misère intellectuelle, je ne soupçonnais pas
cela. Il faut dire que l'usine emploie quelques personnes simplettes,
mais les autres ne relèvent pas le niveau. Ce n'est pas une critique
mais un état de fait, je ne juge pas ces gens mais me sens étranger.
Dans ce monde il y a en permanence de la violence, qu'elle soit verbale,
physique ou sexuelle. Ce n’est pas forcément très visible mais une
injure, une main aux fesses, un pelotage, une blague salace.
Il y a
aussi des violences plus fortes, je travaille avec une personne assez
petite et hargneuse. Nous formons un binôme pour retourner des fromages.
Nous manipulons des plateaux de plus de vingt kilos les prenant sur une
pile et formant une autre pile à côté ; le plaisir de mon collègue est
d'essayer de me coincer les doigts quand nous posons le plateau.
J'essaie de comprendre pourquoi il fait cela, en fait les employés
essaient de se donner un rôle supérieur à l'autre, c'est leur façon
d'accepter leur condition. J’essaie de discuter avec cette personne mais
tout est rapport de force et insulte, alors je me tais et prends soin
de mes doigts.
Vivre huit heures avec un type en face de vous qui ne
pense qu’à vous faire mal est épuisant. Plus moralement que
physiquement. J’aurais pu l’écraser mais je ne suis pas assez méchant,
la méchanceté est un atout dans ce monde cruel, je n’ai pas cette notion
de supériorité. En fait l'humain n'est pas fait pour remplacer les
machines. Il doit se donner des palliatifs à cet état, le système est
fait de telle sorte qu'il ne peut se rebeller de sa condition que devant
un quidam, sachant qu'il ne peut agir sur ses supérieurs. En se
comportant de la sorte avec moi, ce type assouvit son besoin de
personnalité que lui ôte son emploi. J'ai un autre binôme, celui-ci me
raconte des histoires de sexe tout au long de la journée. Il me relate
ses exploits, enfin surtout imaginaires, au début on essaie de rire,
d'apprécier mais au bout d'une heure on a envie de lui dire de la
fermer. J’essaie de dialoguer avec lui, il m'en dit plus que le premier.
Il me raconte qu'il était soudeur de haut niveau avant ; qu'il gagnait
très bien sa vie, il a eu un accident et depuis il a des maux de crâne.
Il est condamné à rester ici, à raconter ses histoires de cul.
Le
patron des usines va chercher des travailleurs étrangers, des Marocains
ici en l'occurrence. Ces derniers sont une quinzaine, ils habitent tous
dans une grande maison à cinquante mètres de l'usine. Un côté pratique
pour le patron, si quelqu'un est absent, le contremaître va chercher un
des Marocains qui est de repos ou de l'autre équipe. Dans un bourg de
2100 habitants voir débarquer ces immigrés est étrange quoique cela ne
pose pas de problèmes racistes. Certains de ces Marocains ont même
intégré le club de football. A l'usine, vu la promiscuité c’est un peu
différent, nous faisons la journée continue, c'est à dire huit heures
d'affilée entrecoupées d'une pause de vingt minutes. Pendant cette pause
nous sommes tous dans une petite pièce, et les blagues fusent
auxquelles succèdent les insultes. Un jour un pauvre type, un peu niais,
n'arrête pas d'asticoter un Marocain celui-ci, à bout, lui lance un
couteau qui va se planter dans la porte à deux centimètres du type
impliqué.
Deux jours plus tard ne voyant pas arriver ce dernier le
contremaître va comme d'habitude dans la maison des immigrés en chemin
il découvre le type dans un fossé laissé pour mort, il fait deux jours
d'hôpital. Je me sens, comme je le disais, étranger dans ce monde, un
monde où chacun, malgré le fait qu'il est comme tous, cherche un rapport
de force pour se donner une place, se démarquer des autres. Certains
dénoncent leurs collègues aux chefs, d'autres montrent leur puissance
devant les femmes en les touchant, certaines femmes excitent les hommes.
Des femmes, mères de famille que j'ai vues en dehors de ce lieu.
D'autres enfin utilisent leurs forces pour s'imposer dans une société ou
le vrai pouvoir n'appartient qu'au directeur et aux chefs.
Nous
travaillons six jours sur sept, nous devons être présent un dimanche
par mois à peu prés. Ce jour-là nous pouvons partir plus tôt une fois le
travail fini. Nous faisons le travail en six heures trente au lieu de
huit. Si quelqu'un ralentit la chaîne il se fait réprimander par ses
collègues. Arrive ce qui devait arriver, faisant le travail plus
rapidement le Dimanche, le directeur augmente la cadence dans la
semaine.
Le seul avantage de ce travail est qu'il peut
occuper des gens simples au lieu de les laisser an ban de la société. En
revanche il ne faut pas croire que c’est une action sociale, ces
ouvriers sont surexploités pour un salaire de misère. Les chefs
n'hésitent pas à se servir de ces personnes qui n'osent rien dire.
L’envie de dire à ces gens "allez voir ailleurs!" me tenaille, mais
pourquoi les déranger dans leur quotidien ils semblent sinon heureux du
moins faire leur vie.
Quant à moi, je comprends vite
que je ne peux rester dans ce monde. Le directeur, en m'embauchant
m'avait laissé espérer une place de responsable; je vais le voir, il me
déclare : « vous n’avez pas le niveau ! » je lui réponds que je vais
aller chercher ce niveau. Je donne ma démission.
mercredi 11 mai 2016
L'usine
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