Un soir m'en revenant de l'étang. Je regarde les rayons du soleil
jouer avec les feuilles des arbres. Je m’assieds dans l'herbe et écoute
les oiseaux raconter leur folle journée faite de virevoltes et de
piqués. Ces oiseaux rentrent dans leurs nids sur la haie. Les fleurs
ondulent au rythme de la brise légère.
Je me dis que c'est peut-être cela le bonheur.
Pour
quelques quintaux de plus on coupe les arbres, arrache les haies. Les
oiseaux ne reviendront plus ici, ils iront gazouiller ailleurs. Pour
quelques quintaux de plus ils peuvent bien aller voir plus loin.
L'écureuil ne comprend pas pourquoi on lui a abattu sa maison c'est
devenu un expulsé. Hier encore il sautait de branche en branche pour
trouver les noix qui le nourriraient cet hiver. J’aimais cette lumière
du soir avec un soleil rouge sang, embrasant le ciel. Ces ombres qui
grandissaient et t’enveloppaient dans une pénombre annonçant le noir
inquiétant de la nuit. Le soleil ne joue plus avec les arbres, même
l'ombre a disparu.
Il n'y a pas si longtemps on disait "la nature
est plus forte, elle reprend ses droits". L'homme peut s'enorgueillir
d'avoir dompté cette nature. Il est plus fort qu'elle. Plus fort tant
que cette nature est capable de le nourrir.
Vision à court terme.
Maintenant le vent balaie la plaine, soulevant la poussière, annonçant
des tempêtes.
Ici c'est la déforestation, Là c'est la "débocagénisation".
Ici pour quelques quintaux de plus on surproduit.
Ailleurs, au loin, dans un autre monde, un enfant crie sa faim.
Dans
50 ans on demandera aux enfants qu'elle est la couleur dominante de la
région. Peu répondront le vert. Enfin! si ce n’était qu'une question de
couleur. Cinquante ans à l'échelle de la création de cette terre c'est
peu, c'est même pas une seconde.
Je regrette d'avoir vécu cette seconde.
Ces quelques quintaux de plus, je les aurais bien achetés pour garder
les arbres et les haies. Pour un bonheur de plus ce n'aurait pas été
cher payé. Je pensais que c'était le monde paysan qui m'avait donné cet
amour de la terre. Maintenant je sais que non, c'est d'ailleurs pourquoi
je suis parti.
J'aimais trop la nature.
J'aimais
la nature, mais je m’aperçus bien vite que je ne pourrais pas en vivre.
Je ne voulais pas devenir celui qui façonne la nature à ses besoins.
Déracinant les arbres, nivelant les haies afin de faciliter le passage
des machines. Arrosant de poisons cette terre pour produire plus, gagner
plus, araser plus. Je n'aurais pas été en accord avec moi-même. Mettre
un masque pour préparer les pesticides, les fongicides, les herbicides
tous ces mots en «icides» qui veulent dire tuer. On en est arrivé à
polluer les rivières à saturer les terres, à imbiber les nappes
phréatiques. Tout cela pour produire plus, pour qui?
Pas pour le tiers
monde qui crève toujours de faim.
Je suis un révolté de cette bêtise
humaine qui ne voit pas plus loin que le bout de sa vie. Elle ne voit
même pas la vie qu'elle réserve à ses enfants. Elle vit au jour le jour, l'ambition est de gagner de l'argent, sans penser aux conséquences.
Je sais que leurs petits
enfants pourront aller dans un musée voir ce qu'était une marre à
l'ombre de grands chênes avec des grenouilles sur des feuilles de
nénuphar. Ce vol d'une libellule se posant sur une grande herbe. Je me
souviens encore de ruisseau ou enfant on allait jouer, faisant des
barrages, inventant des bateaux avec un seul bout de bois. Déjà à cette
époque on ne parlait plus d'écrevisses dans ces ruisseaux, ils avaient
disparus. Puis on a remembré, drainé, enfoui ces ruisseaux, enterrant à
jamais mes souvenirs, mes jeux.
Pourquoi suis-je aussi impliqué par ces
ravages. Beaucoup s'en fichent, se justifient. Ils peuvent toujours
justifier, je ne les entendrais pas.
Je suis fait comme ça.
Déjà
à cette époque j'écrivais des pages sur la pollution. Ce n'était
alors juste que quelques accidents. Je savais que les Hommes vivraient
un jour avec des masques. Je pensais alors voir le pire pour croire que
ça allait changer.
La réalité dépasse toujours la fiction.
mercredi 21 août 2019
Pour quelques quintaux de plus
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