Le rayon de soleil vient taper à la vitre sale du hangar. Il suit sa course jusqu’à frapper l’œil de l’animal à l’intérieur.
Dans ce qui lui sert d’écurie, le cheval s’ébroue doucement,
comme pour chasser les démons de la nuit. D’un pas lent il se dirige vers la
barrière de son enclos.
Tous les matins c’est le même rituel, le cheval guette le
chemin, il sait que son maître va venir, il l’aperçoit à une centaine de
mètres, hennit pour l’encourager. Son maître, Maurice, il le reconnaîtrait
entre mille.
Lorsque je passe devant son territoire, il vient me voir, parfois il n’est pas d’humeur, il me snobe. Je lui donne de temps en temps un quignon de pain, là, les caresses ne l’intéressent plus, il esquive ma main d’un air de dire « donne moi ton pain ! ». Je suis fier car quand je passe au loin il hennit pour me dire bonjour, j’ai remarqué qu’il ne le fait pas avec d’autres personnes.
Ce n’est rien à comparer de la fête qu’il réserve à son
maître, j’en suis jaloux, l’autre matin je passais en même temps que son
propriétaire il m’a ignoré d’une façon scandaleuse ; réservant ses
hennissements et ses cabrioles à Maurice.
Les jours défilent tranquillement, et le passage des gens
égaie les journées de l’animal.Son
maître le met parfois dans un champ plus loin et je sens que le cheval n’est pas heureux
alors je fais un effort pour lui rendre visite.
Maurice tombe malade et ne peut plus s’occuper de l’animal.
Le cheval attend, tous les matins, un
maître qui ne viendra plus. L’ainé de Maurice décide de le vendre car personne n’aura le temps de s’en occuper. On met une photo de l’animal sur
internet.
Un matin d’hiver, une grosse voiture noire avec un van vient
le chercher, le cheval ne comprend pas
ce qui lui arrive, lui qui n’a jamais quitter le village.
J’ai appris qu’il était dans une propriété d’un riche banquier, celui-ci l’a acheté sur un coup de tête pour le monter. Comme de toutes choses le banquier s’en fatigue et l’oublie. Pas tout à fait, car ce dernier a l’idée farfelue d’embaucher un lad et d’acheter un tapis roulant pour chevaux. Il souhaite que le cheval soit en forme le jour où, peut être, il aura le temps de le monter.
Depuis, tous les matins, à l’heure où Maurice venait lui donner son blé, le cheval est attaché à une barre de fer, le tapis se met à rouler et l’animal est obligé de suivre le rythme sous le regard complicedu lad.
Plus jamais, le cheval ne verra la vie du petit village, il ne courra plus dans le pré pour venir goûter mon pain. Il est devenu l’objet d’un homme qui croit qu’on peut tout s’acheter.
Il est victime de la bêtise du millionnaire.
* L'histoire du tapis est réelle, elle est racontée par l'écrivain Joseph Incardona dans l'émission "La grande librairie"
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