jeudi 22 août 2024

Alors! Nous polluerons ailleurs

 Le fleuve charrie des mousses blanches ; un petit garçon se baigne en jouant avec la matière volatile ; plus loin un bœuf se désaltère dans cette rivière. 

Ce fleuve de mousse blanche poursuit sa route sur des centaines de km. 

Hyderabad, là ou passe le fleuve, est une ville de 10 millions d’habitants c’est ici que la majeur partie des sociétés pharmaceutiques se sont implantées.

 L’Inde veut devenir le premier fournisseur de médicaments et les entreprises étrangères profitent d’un manque total de règles environnementales pour produire. Elles profitent aussi d’une population sous payée. Sanofi, Pfizer, Sandoz et toutes les autres sont là ; plus de 140 entreprisses.

Alors qu’importe le petit enfant qui se baigne dans cette mousse mortelle, si vous craquez une allumette la berge prend feu. Qu’importe aussi que ce bœuf avale des molécules dangereuses, des antibiotiques.

 L’Inde veut battre la chine dans ce domaine.

Alors la rivière charrie les poisons produits par ces industries: Chrome, Arsenic, Nickel. L’air, l’eau et le sol sont saturés de produits toxiques. Selon un médecin 20% des enfants sont atteints de maladies irréversibles (trouble de démence, déficience mentale, troubles pulmonaires, malformations etc. Un médecin passe chaque semaine pour ne constater que les dégâts, il n’y a pas de médicaments pour les soigner. 

L’enfant de cinq ans est allongé dans un lit, les bras en croix il est entubé de partout, ses 2 poumons sont sclérosés on ne peut que l’assister pour qu’il respire. Le comble est que les antibiotiques n’agissent plus, la population est intoxiquée aux médicaments.

 Alors l’Inde crée un projet PHARMACITY pour être le meilleur. Le ministre chargé de ce projet est conscient que cette industrie pollue mais il affirme que son projet traitera les déchets à terme. Cette promesse en vaut bien une autre. A côté de cette ville un dernier paradis fait de biodiversités, de zone humides et de vallées verdoyantes.

 C’est ici que le projet PHARMACITY va prendre jour, 80 km carré vont être engloutis. On a commencé à araser les collines à enfouir les marais pour les remplir de béton. Un demi millions de personnes seront déplacées. 

Le but de l’inde est de soigner tous les pays occidentaux au prix de la vie de ses enfants. La vie d’un enfant où qu’il soit né n’a pas la même valeur. L’enfant sur son lit d’hôpital pense-t-il qu’il aurait eu une toute autre vie s’il était né ailleurs, qu’elle importance maintenant qu’il va mourir. Les enfants, à cet âge ne pensent pas à ce genre de choses, ils font confiance aux adultes, savent qu’ils sont là pour les protéger à moins que l’intérêt supérieur du pays… 

Penser que le capitalisme aura la solution pour sauver le monde est faux il sera la cause de sa destruction jusqu’au bout. Il a inventé le mondialisme afin de contourner les lois pour aller polluer ailleurs. Un jour ils iront soit polluer la lune, soit s’y réfugier laissant les petits Indiens se dépêtrer des boues toxiques qui leur clouent les pieds. 

J’entendais hier encore un jeune économiste dire « grâce au capitalisme les gens vivent mieux » ; ce n’est pas l’enfant indien qui va lui dire le contraire, ce dernier n’a pas droit à la parole. Les écoles sont dirigées par ces capitalistes, l’avenir est bien assuré. Ce qui m’inquiète ce sont ces jeunes diplômés qui n’ont aucun discernement et avalent tout ce qu’on leur dit. 

A preuve que l’intelligence ne s’acquière pas dans les écoles. 

Si vous vous « promenez » sur Arte.tv , sur le net vous y verrez nombre de documentaires qui nous montre la bêtise, la duplicité et l’acharnement de certains pour faire de l’argent à n’importe quel prix, même au prix de vies humaines. 

 

lundi 28 août 2023

L’espace temps

  A l’aune de l’univers notre temps sur terre ne représente rien. Nous sommes comme un grain de sable comparé à la terre. Métaphore d’autant plus parlante de nos jours, nous sommes le grain de sable qui enraye la machine. Mais mon propos n’est pas là. 

Au début de la vie nous est donné un capital temps, la vie de nos cellules qui un jour ne se renouvellent plus. Là encore nous ne sommes pas égaux, certains n’auront pas le temps justement de le dépenser, d’autres ne sauront pas quoi faire de ce capital et l’arrêteront de leur fait. Une grande partie enfin pourra l’exploiter. 

L’exploiter est un mot valise car ici ce n’est pas une valeur marchande.

Si c’était le cas il y a longtemps que certains en auraient fait une valeur boursière, le coter en bourse pour parier sur la vie, là on atteindrait le paroxysme du capitalisme.Certains seraient capables d’échanger ce capital pour de l’argent. Attention ce n’est pas que de la science fiction.

Les entreprises comme Google et Musk amassent de milliards de données sur la santé des Hommes dans le monde. Leur but est la recherche sur la prolongation de la durée de vie jusqu’à l’éternité. Ils sont obnubilés par la dégénérescence de l’être. C'est un peu une course contre la montre, contre le temps. Que feraient-ils de leur temps quand ils seront éternels, amasser plus d’argent, avoir toujours plus.

A notre naissance notre capital temps nous appartient à nous de le gérer. Mais au cours de la vie nous nous apercevrons que notre temps ne nous appartient pas vraiment, nous devons aller à l’école, après nous le monnayons contre un emploi, nous travaillons afin de mieux profiter d’un temps que nous avons perdu en grande partie. Ce n’est peut être qu’à la retraite que nous disposons vraiment de notre temps. Mais là nous commençons à estimer les limites de ce capital. 

 Dire que certains courent à la recherche du temps perdu, pour perdre leur temps en futilité.

 Maintenant où on n’a plus le temps. On court après des minutes à jamais perdues. Le temps n’a jamais eu autant d’importance et on ne le prend pas. Peut-être faudrait-il retourner le sablier de notre vie pour retrouver le bon rythme.

Je me rappelle avoir écrit sur l'horloge comtoise de mes grands parents:

https://ecrits.didierdufresne.com/2016/06/le-temps.html

dimanche 4 décembre 2022

Choc de Monde

  Je suis allé à l’IUT à la fac d’Angers. Je revenais la plus part du temps le vendredi soir après les cours.

J’avais une voiture, ayant repris mes études sur le tard. J’étais indépendant. Il m’arrivait de prendre deux étudiants pour les remonter en Normandie, l’un à Laval, l’autre un peu avant Domfront. Le voyage se passait calmement, mes collègues étaient timides. Après les questions d’usage sur la semaine passée à la fac, le silence s’installait; je mettais donc une cassette, la musique m’a toujours accompagné partout. Les phares transperçaient la nuit et, au son des rifs de guitare, je traçais sur le ruban de gris, il faut préciser que les radars n’existaient pas en ce temps là.

Mes compagnons de voyage s’installaient dans une langueur frisant l’endormissement.

Une fois le premier voyageur déposé, j’essayais d’entamer une conversation, peine perdue, après quelque « oui » « non » je n’insistai pas, pensant tout de même qu’un effort aurait pu être fait ne serait-ce que pour me remercier. Je ne le faisais pas pour cela.

Un soir en le déposant au bout de son chemin, ses parents, agriculteurs habitaient une ferme, il descend et avant de claquer la portière me dit « Merci, j’ai apprécié le voyage avec la musique » de fait il n’avait pas envie de parler.

Le dernier voyage de l’année m’a valu une expérience étrange. Comme à l’habitude je m’arrêtais à l’entrée du chemin. Mon compagnon dit en hésitant « mes parents voudraient te remercier tu peux venir ? » j’acquiesçais et suivi donc le chemin jusqu’à la ferme. 

Le soir tombait et, en cette période, le soleil rougeoyant peignait la campagne d’orange. 

 Une cour en terre nous accueille elle borde une maison de pierre trouée de petites fenêtres. A notre arrivée une porte de bois s’ouvre encadrant un homme vêtu d’un pantalon de velours et d’une veste du même tissu. 

« Entrez faites attention à la marche. » Effectivement pour accéder à la pièce principale il fallait descendre une marche. Là, je me projette dans une peinture du début du siècle.

Le sol est en terre battue, une grande table de bois massif trône au milieu de la pièce. Assise devant la fenêtre une jeune femme, dans un halo de lumière, donne le sein à un nourrisson. La mère elle est assise dans un fauteuil en train de tricoter. Au fond de la pièce une grande cheminée ou un chaudron est accroché à une crémaillère. L’âtre est éteinte en ce début d’été. Sur le côté un évier en faïence écrase une petite gazinière. Le tout baignant dans une lumière tamisée rappelant les tableaux de Wermer

 En une seconde je suis passé cinquante ans en arrière. 

Hébété je n’écoute pas le père qui me fait revenir à la réalité.

 - Vous allez bien manger un morceau avec nous ? me répète –t’il

 - Merci, c’est gentil mais je vais rentrer !

 - Allons pas de manière ce sera simple !

 Je me rends compte que l’invitation avait été prévue avant mon arrivée. Ne voulant pas vexer mes hôtes j’accepte donc. 

Mon étonnement.

 Nous nous asseyons à la table cernée d’un banc. Il n’y a qu’un gros pain sur celle-ci et j’attends que l’on mette le couvert. Là, je suis interloqué quand le maitre de maison prend un grand couteau et donne une large tartine à chaque personne puis il me dit : « je vous donne un couteau car je me doute que vous n’en avez pas ! » 

Puis il se dirige vers une étagère sur le mur prend un plat et le pose sur la table. C’est un gros morceau de lard.

Une grosse tranche atterrit sur mon pain et je comprends donc que je vais manger sur le « pouce » expression qui prend tout son sens ici. Accompagné d’un verre de cidre je mange donc du bout des dents. Un camembert coulant fait office de désert. Puis un café accompagné d’un verre de calva, boisson régionale dans le Domfrontais.

En mangeant, le père, il n’y a que lui qui a la parole, raconte sa ferme, ses bêtes, la culture.  Enfin il m’explique qu’il a un autre fils en fac de médecine à Caen. Il est en cinquième année.

De retour dans ma voiture, je quitte la ferme. Encore abasourdi, je bascule vers une autre civilisation. 

Dans ma voiture, j’imagine le fils qui la semaine est à la fac de médecine avec des copains d’une autre classe sociale. Il vit dans ce contexte et le weekend, retrouve l’environnement de son enfance. La bascule doit être impressionnante et les conversations sont forcément biaisées. L’un connait les deux mondes, les autres sont restés dans une routine journalière. Le dialecte utilisé pendant toute son enfance n’a plus la même résonance et malgré lui un jugement s’invite. Les parents sentent qu’ils perdent un peu de leur fils mais ne veulent pas voir le regard critique de leur progéniture sur leur façon de vivre. En aucun cas ils ne doivent avoir honte ce sont eux qui ont permis cette ascension. 

Les ascenseurs sociaux, dans les années soixante dix étaient violents, la communication allait moins vite que le changement de statut. Les parents restant dans leur univers perdaient une partie de leurs enfants en ne les comprenant plus. 

Je me rappelle lorsque je venais voir mes parents j’allais voir des gens qui avaient décidé de ne pas suivre le progrès vu leur âge avancé. Je ne racontais pas le travail que je faisais en informatique ; ils n’auraient pas compris, non pas par manque de discernement, mais parce que pour eux travailler c’est subvenir au besoin de l’humanité, ce que je faisais c’est créer du besoin, chose qu’ils avaient du mal à accepter. 

En fait nous sommes chacun un monde, une planète, une étoile. Le bigbang de la jeunesse façonnant cette planète par des chocs telluriques liés à son environnement. Plus tard, pour certains cette planète se façonne, se galbe pour devenir ronde et lisse ; bien sûr certaines crevasses faites par des météorites apparaitrons à sa surface, ce sont les accidents de la vie. Mais cette planète s’éteindra paisiblement. 

Chez d’autre, en revanche les chocs, les percutions continueront de par une orbite aléatoire, alors ce sera une forme biscornue qui en résultera. Ces aspérités empêcheront les satellites de tourner en parfaite harmonie. 

La question est quelle étoile brillera le plus? La ronde avec ses astres lumineux en orbite, où la biscornue avec ses explosions.

Mais est-ce une question de brillance ? 

Ces planètes ne vivent qu’une fraction de seconde à l’aune de l’univers, donnant une relativité à la vie, nous obligeant à l’humilité.

mardi 21 juin 2022

Un pas devant l'autre

  En courant ce matin dans le bois de Vincennes, je pensais, oui je cours pour me vider la tête mais elle fonctionne toujours. Je suis admiratif devant les gens déclarant qu’ils ne pensent à rien, moi je ne peux pas. Le Créateur aurait dû mettre un interrupteur pour qu’on puisse se reposer, c’est vrai que les interrupteurs n’existaient pas à son époque. Donc je pensais au fait qu’en mettant un pied devant l’autre sans s’en rendre compte  j’ai du faire des milliers voire des millions de pas.

Tout commence le jour où, bébé, on vous tient par les bras pour faire votre premier pas. Une fois seul, c’est la grande aventure qui commence, vous découvrez le cocon familial en touchant, à vos dépends parfois, tous les objets.

Puis un jour on vous ouvre la porte sur le monde extérieur. Etant tenu par une main vous parcourez le monde à votre hauteur, croisant des monstres à quatre pattes qui, d’un coup de gueule peuvent engloutir votre tête ; croisant des pots d’échappements, des sacs qui vous attaquent ; vous découvrez un monde agressif.

Vous grandissez et l’horizon s’éloigne de plus en plus.

Un jour vos pas vous amènent à l’école, là où plein de bipèdes vous ressemblent. Ici on vous apprend à marcher dans le droit chemin, la société n’aime pas les individus qui vont dans une autre direction, qui prennent des chemins de traverse. Plus tard je m’apercevrais que le droit chemin n’est pas si droit. Il peut être tortueux, semé d’embûches ; à ce sujet juste une parenthèse : (si quelqu’un connait le semeur d’embûches qu’il me le dise j’aimerai lui dire deux mots, la vie serait plus facile sans lui). Fin de la parenthèse.

Vous suivez donc le chemin tracé mais là encore il n’est pas le même pour tout le monde. Certains seront guidés vers des voies secondaires voire des voies de garage. Les plus chanceux continueront leur petit bonhomme de chemin dans les études.

A mon époque on apprenait aussi à marcher au pas au son d’une marseillaise qui nous invitait avec son « Marchons, Marchons qu’un sang… » Je n’aimais pas marcher au pas, mon côté anarchiste peut être. Je ne voulais pas empêcher  d’autres personnes de marcher. Que ceux qui veulent la guerre la fassent et n’entrainent pas les autres.

Puis vous apprenez à marcher à deux, pour la plupart. Marcher à deux est plus difficile que marcher au pas ; il faut sans cesse ajuster son rythme à l’autre, ne pas prendre trop d’avance ou de retard pour se perdre ; Ne pas laisser l’autre à la traine.

Dans le monde de l’entreprise, on vous apprend à marcher aussi de l’avant mais ensemble dans une même direction. Certains, lassés, disent même « je ne marche pas ou plus! » et s’en vont marcher ailleurs.

Enfin le temps passant les pas se font plus lourds, le fardeau de la vie. Le fait est que l’on avance quand même et, si besoin est, on s’aide d’une canne.

A force de marcher on fait le tour de sa vie.

Bon faut que j’arrête de réfléchir et me concentre sur ma course sinon une pierre viendra me faire tomber (encore le semeur d’embûches !).  Revenant  à la réalité je m’aperçois que je suis perdu.

Il vaut mieux être perdu dans le bois que dans ses pensées ; il n’y a pas de GPS pour ces dernières.

jeudi 18 novembre 2021

Un monde de zéros et de uns

La jeune maman pousse le landau d’une seule main.
De l’autre un appareil lui prend toute son attention, elle pianote. Il faut se pousser pour ne pas être percuté par l’ensemble filant bon train sur le trottoir.

Dans son véhicule, le bébé de ses yeux ronds essaie de capter un sourire de sa mère; peine perdue où, peut-être une coïncidence, une chance que la jeune femme sourie à son appareil, l’enfant le prendra pour lui.

On dit toujours que les paroles s’envolent et les écrits restent.

Combien de mots saisis sur ce petit appareil tombent aussitôt dans l’oubli, dans les bas-fonds d’un ordinateur. Un tas de zéros et de uns resteront à jamais dans les poubelles de ces machines, attendant une réactivation. Peine perdue le flot incessant balaiera ces mots ne voulant plus rien dire ; à peine envoyés ils sont recyclés, blanchis. Les vagues de ces écrits s’échouent sur les récifs de la futilité.

Un jour une machine dotée, non d’une intelligence artificielle, celle-là froide, mécanique et implacable. Non une machine dotée d’une sensibilité, une machine s’étant nourrie de mots sensés, d’images, d’échanges importants. Donc cette machine repérera un texte sublime d’un amoureux envoyé à sa belle, un poème qui éclaboussera de sa lumière les tuyaux sombres fait de câbles et de circuit, il illuminera cet univers froid.

La machine mettra en œuvre ses réseaux pour publier au grand jour ce texte. 

Utopie d’un jour où l’on ne verra plus que des messages importants et enrichissants.

Bientôt la jeune femme n’aura plus besoin d’écrire et de regarder son appareil, la machine lisant dans ses pensées la libérera de ce travail.

Alors elle pourra donner de son regard à son enfant qui a besoin d’être connecté à elle, de se sentir aimer et important.

vendredi 16 juillet 2021

Routine !

   Paul prend le métro comme d'habitude, il est ailleurs, comme d'habitude aussi, présent en corps et en espace mais son esprit vagabonde.

Ce matin son réveil lui a distillé une musique:  "Ton histoire" d'Isabelle Boulay; ce n’est pas tellement son genre de musique, pas du tout même, mais cette voix chaude, cet accent, le souvenir qu'il a de la chanteuse rousse. Il soupire et tombe sous son charme. Il sait que cet air va le hanter une partie de la journée.  Il sait aussi que tout est question de contexte, surtout la musique, elle véhicule des embolies de sentiments, plus tard cela se transformera en souvenirs. Le décalage est énorme quand il pose son regard sur ces collègues de voyage.  Que pensent-ils eux? Ont-ils un refrain dans la tête? Des souvenirs. Il lève la tête et s'attarde à regarder ses voisins.

Le jeune cadre dynamique, costard cravate, tiré à quatre épingles. Son attaché case en accord avec sa montre et sa gourmette. Les cheveux gominés, les souliers cirés. Brillant à l'intérieur comme à l'extérieur. Il est déjà dans son job et  son regard vous snobe.

La femme qui se maquille plus chez elle, pas encore au travail. Elle prend l'espace temps, elle gomme, elle aplanit les rides de la nuit. Encore un peu de mascara, le miracle s'accomplit, elle rayonne. Elle peut affronter le monde des affaires.
Cet adolescent, le casque sur les oreilles, les yeux roulant sur sa petite console, il ne vous remarque même pas, vivant dans son monde virtuel. Il bat le rythme de sa musique avec sa tête, pianotant sur son engin comme s'il inventait la mélodie qu'il écoute. Il repartira sans laisser de trace.

Ce clochard qui en 2 minutes vous raconte sa vie, ses malheurs, sa haine de la société. Discours auquel il ne croit même plus. Il quémande, fait l'aumône vous tendant la main, passant sans s'arrêter. Une pièce par ici un ticket par là, son maigre butin lui fera espérer un jour meilleur.

"Ce monde souterrain, nouvelle génération de taupes nous sommes!" pense Paul.

Et son refrain lui hante sa mémoire.
Il voudrait, il en a besoin. Besoin de s'évader, de se dire ce n'est pas ma station mais je sors, je quitte ce monde monotone pour mon imaginaire.

Puis, d'un coup au signal sonore, Paul se lève, saute la porte, fait le pas en quelque sorte. Le pas, le seul, celui qu'il fallait oser, celui qui va le guider, l'emmener vers un monde. Un autre monde.
Il se retrouve seul sur le quai voyant ce long serpent de métal se fondre dans la nuit. Il est abasourdi d’avoir osé , hésitant un instant; une petite voix, celle de la raison, penseront les timorés, lui dit: "Attend le prochain tu pourras te remettre sur les rails de ta vie". Mais Paul ne l'écoute pas il sait que c'est le moment, jamais il n'aura plus d'occasions si belles, jamais plus il n'osera; donc c'est maintenant. 

La vie ne le poussera plus, c'est lui qui bousculera sa vie.

Un jour nouveau se lève en gravissant les marches, Paul se redresse, déchargé d'un fardeau invisible. Le poids des ans évidemment mais aussi le poids de la routine. Il se sent léger mais inquiet un peu, c'est vrai il a osé, le premier pas il l'a fait, mais il faut que d'autres suivent pour avancer dans son nouvel environnement.

D'abord se dit-il  prenons l'espace temps, plus cette contrainte; c'est déjà une grande liberté même si les habitudes étaient confortables en ce sens qu'on n'avait qu'à se laisser porter. Il décide donc de s'asseoir sur un banc public dans le square proche, c'est le printemps et les oiseaux sont déjà à leurs bavardages, leurs constructions et leurs amours; ce petit monde grouille pour qui veut les entendre, l'oreille peut être sélective, un petit effort et les bruits de la rue s'estompent laissant la place à ces sifflets et autres piaillements de moineaux.

Les arbres finissent de sécher leurs feuilles fraiches de rosées aux rayons du soleil naissant. Un air de fête envahit notre spectateur, il se remémore la chanson de Trenet :"Je chante".
Les gens pressés le regardent d'un air inquiet, troublant leur routine.

Ils n'aiment pas, les gens, qu’on s'arrête, essayez de vous arrêter sur un trottoir pour regarder un nuage rouler dans le ciel, on va vous apostropher, sans vous parler bien sûr, des réflexions vont fuser. Comme quoi vous empêchez les personnes de vaquer, de courir à leurs occupations, leurs obligations.
Obligations surtout, sinon ils seraient plus à l'écoute.

En face, un bruit l'interpelle, il vient de la boutique florale ;  un pot est tombé et les fleurs reprennent leur liberté sur ce macadam hostile. Paul se précipite, il commence à ramasser et former un bouquet anarchique; lorsqu'il lève la tête et tombe nez à nez avec une beauté. Un visage rayonnant le bonheur, lui sourit, un peu inquiet. Une chevelure de feu enflamme ce visage qui vous mange de ses yeux verts.

« Juste ces fleurs... tombées ... je ramassais; bredouille t'il !
 - Merci, ce n'est pas grave dit-elle en souriant, je vous remercie. »
 Paul, voit ce visage s’illuminer et reste bouche bée, les fleurs pendant au bout de son bras, il reste ainsi un bon moment jusqu'à ce que
 - Ça va monsieur? Venez, rentrez un peu vous reposer.
 Il l'a suit dans l'arrière boutique ou un petite table trône au milieu de la pièce, une gazinière dans le coin, coincée entre un petit frigo et une étagère. Il s’assit sur la chaise que lui présente la jeune femme.
 - Je m'appelle Véronique, Véro pour les proches.
 - Bonjour! Moi c'est Paul, excusez moi pour le dérangement!
 - Le dérangement? Mais non c'est moi qui vous invite, je vous offre à boire? Vous m'avez l'air de sortir d'un rêve ça va?
 - Oui merci, juste un peu déboussolé.

Maintenant ça va !

vendredi 5 mars 2021

Une nuit en l'attendant

  La nuit enveloppe les bâtiments d’un voile soyeux. Elle aplanit les laideurs du jour, pensais-je! La nuit pénètre par la fenêtre et envahit lentement la chambre où je suis. Allongé sur un matelas à même le sol je la regarde progresser lentement sur le plafond. Avec elle le silence se fait tout doucement ponctué  seulement de quelques bips qu’égrènent les machines. Les bruits de la journée sont devenus plus rares, plus feutrés. La chambre plonge dans une torpeur. Le  noir est troué de lumières vertes et bleues qui jouent sur les murs des ombres féériques. Je saisi l’instant presque magique mais je ne suis pas seul dans cette chambre.

Sur un lit, un enfant est étendu sur le dos, il ne bouge pas, on n’entend pas son souffle, il est de marbre.

Je suis là, à l’hôpital, car le médecin m’a dit ce soir que mon fils ne passerait peut être pas la nuit, une dose de chimio trop forte et la petite usine chimique de son corps s’est mise à s’emballer; c’est comme une réaction nucléaire en chaine qu’on n’arriverait plus à contrôler. C’est l’image que je m’en fais car le toubib y est allé de ses grands mots savants mais j’aime traduire pour avoir une image contrôlable, elle.

Je l’attends ! C’est la nuit qu’elle arrive.

La porte s’entrouvre, je fais semblant de dormir pour ne pas déranger l’infirmière de nuit. Elle s’affaire deux ou trois minutes autour du lit puis ne l’entendant plus je risque un œil, je la vois de dos elle est agenouillée devant mon fils et elle prie. « Quelle force dans sa croyance me dis-je ! » dans ce lieu où des enfants souffrent où quelques-uns meurent aussi, comment peut-on croire encore à une quelconque force supérieure. Cette croyance je la respecte, je connais la personne c’est une seconde mère pour tous ces enfants qui dorment loin de leur foyer. C'est une sainte! J’aimais la voir le soir quand je laissais mon fils seul la nuit; je savais qu’elle s’en occuperait bien. Des larmes me viennent à la voir là. Je l’aurais embrassée pour l’instant d’amour qu’elle donne.
Elle sort!

Je reste pétrifié sur mon matelas.

Je l’attends ! Faut pas que je m’endorme

Dans quel monde suis-je en ce moment, un monde qui peut basculer d’un instant à l’autre, je guette le son de la machine qui va déchirer ce calme pour nous dire « c’est fini ! ». Ces robots faits de clignotants, de chiffres et de bruitages paraissent les seuls choses vivantes. Ces machines relient l’enfant à une vie artificielle et guettent elles aussi les réactions du corps pour nous alerter le cas échéant.
Cela fait des mois que cette chambre est notre seconde maison. Nous y passons une partie de notre temps, nous y mangeons, parlons, rions, pleurons, jouons… enfin nous y vivons. Des jours d’espoirs, de victoires, d’autres de défaites et de souffrances. Allez dans un hôpital d’enfant! Vous prendrez une leçon d’optimisme. Les enfants y sont souvent plus forts que nous adultes; ce sont eux qui nous soutiennent. J'y ai connu des héros de la vie  même si l’innocence de l’enfance leur manquera toujours quelque part.

Je la guette! Elle et sa faux.

C'est étrange de voir un enfant, si vivant, rester allongé sur le dos sans aucun signe qui peut nous laisser espérer. Un instant j’ai l’impression qu’il en a eu marre, qu’il se laisse partir, abrégeant ses souffrances. J’ai peur aussi qu’il veuille abréger les nôtres. Je voudrais lui dire, avant, combien j’ai aimé notre combat ensemble que, si j’ai désespéré parfois ce n’est pas à cause de lui, c’était une faiblesse de ma part. J’aimerais lui dire et lui dis que j’ai tant de choses à vivre avec lui avant qu’il s’en aille; qu’il ne peut pas partir comme cela, même s’il veut faire un bras d’honneur à la vie qu’on lui inflige. Que peut être le combat en vaut encore la peine. 
J’essaie de m’en persuader.  

Elle est là! Je la sens.

Parfois je crois sentir son souffle mais ce n’est que l'air du climatiseur. Mes paupières s’alourdissent, les minutes, les heures défilent à un rythme défiant la tortue de la fable. Une lueur me semble-t-il dans le ciel; La clarté chasse la nuit et ses ombres; enfin le matin va apparaitre, je me lève et m’approche de mon enfant il est toujours là avec nous.

Elle n’est pas venue !

Cette nuit nous aurons gagné, mais combien de nuits tiendrons-nous ?

Deux jours plus tard  alors que je veillais mon fils, j’ai repéré un petit battement de cil. Je lui ai parlé, j’ai décidé de mettre le CD de Balavoine qu'il adorait,  j'ai fredonné comme on  faisait ensemble et il a émis quelques sons, c'est ainsi qu'il s'est réveillé.

La vie, en suspend jusque là, recommençait.

dimanche 21 février 2021

Nostalgie

Il se lève ce matin, la tête bourdonnant des climatiseurs et épurateurs d'air qui ronronnent sans arrêt, le retenant à cette vie précaire. Par la vitre sale, il voit la boule de feu déjà en action asséchant encore le peu qui puisse rester de viable. Son souvenir des nuages se dissipe de jour en jour. Il sait que bientôt il ne pourra plus se rappeler ne serait-ce leur forme dans le ciel. Ni la goutte d'eau qui vient s'écraser sur votre front donnant une impression de fraîcheur. Les dernières pluies ici étaient acides, il fallait justement éviter de les recevoir. Comment en est-on arrivé là ? Cette question lancinante lui trotte dans la tête. Question sans aucune importance maintenant.

La couleur verte a disparu du paysage laissant le brun et le noir s'installer; est-ce une simple question de couleur? Forcément non mais peut-on lui enlever jusqu'à cette notion?

 L’Homme cela lui a pris comme ça, comme dans un rêve démentiel. Un cauchemar.
D'abord il a voulu mettre son image partout, se mettre en publicité, en actualité. Il abat les arbres, déforeste, pour en faire du papier, des affiches. Il a commencé à cacher le paysage, comme s'il voulait ne pas voir ce qu'il détruisait.
Puis il a construit des maisons de plus en plus grandes. Bien sûr il plantait un arbre de temps en temps pour en garder le souvenir. Les Immeubles grandissant ont commencé à couvrir les arbres de leur ombre, ces derniers sont morts desséchés. Le béton a remplacé le parc naturel couvert d’herbes folles.

Il a voulu se déplacer, il invente donc des machines, il faut les nourrir ces machines. Heureusement la terre nourricière est là avec ses réserves de pétrole. On pille et même si quelques cargos chavirent, laissant de larges larmes noires sur la face de la mer, on se dit que le jeu en vaut la chandelle. La flamme il faut pouvoir la laisser allumée, comme l'homme de Cro-Magnon voulait la préserver. Les usines et les véhicules crachent leur venin invisible trouant notre toit protecteur. Empoisonnant notre air.

Il y a bien des alertes, Seveso, Bhopal, Tchernobyl etc. Mais on se dit que se sont des erreurs qui ne se reproduiront plus. Après un instant de stupeur, la frénésie reprend ; surtout que les profiteurs n’habitent pas auprès de ces bombes en puissance.

L'Homme est donc pris d'une frénésie, non seulement il ne veut pas s'arrêter mais il court, il casse, il tue. Bientôt les forêts disparaissent laissant place à des langues de terre desséchées que même les fleuves ne peuvent abreuver. Des mers s'évanouissent découvrant des carcasses de cargos, des neiges d'antan s'évaporent vieilles de milliers d'années.

 L'Homme il lui a fallu 50 ans pour assécher sa terre nourricière. On respirait encore à l'époque mais la dioxine et les gaz que génèrent les déchets remplacent notre gaz vital. L'Homme n'est pas à cours d'idée il crée des masques pour pouvoir continuer sa destruction, Le masque lui permet aussi de se cacher. Au début on s'interroge on voit des cyclistes masqués puis on s'habitue. On entend parler de pluies acides, mais pour l’instant ce n'est pas encore très inquiétant ce ne sont que de petites pluies.

Il ne fallait pas accepter, dès le début, car il suffit aux pollueurs de gravir les paliers plus ou moins sensibles de la résignation. On parle du futur mais les puissants ne vivent qu’au présent, ils prennent et ne se projettent pas dans l’avenir, le futur même de leurs enfants.

L'eau est devenue rare, ce sont les pays pauvres qui ont commencé à mourir. Dans les pays riches on a pompé tout ce que l'on pouvait pomper. Les mers, les glaciers, les nappes souterraines tout y est passé reculant de quelques années le cauchemar que d'autres vivaient.
Des îlots, des oasis se sont créées entourées de murs et barbelés gardés par des armées. Des millions de gens y ont péris autour ; faute d'eau ils y ont versé leur sang. Maintenant ce sont les dirigeants, les vrais pollueurs qui y vivent, pour combien de temps encore.

Ou est passé cette cascade sur la rivière. Elle déployait son rideau de brume aqueuse que venait illuminer le spectre coloré du soleil. Le promeneur, armé de patience, aurait pu y voir un écureuil s'y rafraîchir ou ce raton laveur sécher ses poils brillants à la chaleur des rayons. Tous les sens y étaient mis en éveil.
L'ouïe d'abord avec cette mélodie de l'eau sur les rochers, rehaussée de chants d'oiseaux et ponctuée de bourdonnements d'abeille.
L'odorat ensuite par le bouquet de l'herbe humide agrémenté des parfums de fleurs des prés.
Le goût après en se rafraîchissant de cette onde; croquant une fraise sauvage.
Le toucher en laissant filer entre ses doigts cette force insaisissable.
La vue bien évidemment, imaginant qu’il y a plusieurs milliers d'années de cela quelqu'un assistait au même spectacle.

Où sont tous ces plaisirs à jamais disparus? Pendant plusieurs millénaires des hommes ont pu y goûter. En quelques décennies tout a disparu, l’eau, l’herbe, les fleurs, la musique plus rien de tout cela. Tout n'est plus que sable, poussière (tu retourneras poussière !).

A l‘échelle de l’âge de la  terre, 50 ans n’est même pas une seconde. Je regrette d’avoir vécu cette seconde. 

Pourquoi se ressasser cela sans arrêt? Cela ne sert à rien, si c'était à refaire, l'Homme recommencerait. Ce serait le jet d'un sac plastique qui naviguerait jusqu'à la mer. Car tout a commencé comme ça un geste simple sans conséquence qui se multiplie à l'infini, l'égoïsme nous permettant de croire que l'on a le droit d'agir ainsi. Ce sont ces politiques soutenant les compagnies pétrolières qui en sont responsables. Ce sont eux qui rendront des comptes au banc de la société, au grand tribunal des amoureux de la terre, ils seront condamnés pour crime contre la nature; crime contre nature pourra-t-on vraiment dire.

L'homme se ressasse tout cela en songeant qu'il n'a pu rien faire. Va falloir qu'il mette sa combinaison, son masque, ses bottes pour aller chercher de quoi se sustenter. Il va partir pour sa quête finale. Arpenter ces rues balayées par un vent de sable. Il se couvre entièrement, la moindre surface de peau offerte au soleil brûlerait instantanément. Il doit chercher quelques trous ou récipients dans cette ville contenant un liquide poisseux lui permettant de s'abreuver. Il est conscient que si ce n'est aujourd'hui qu'il périra, ce sera certainement demain.
Demain il y a longtemps voulait dire espoir, depuis peu ce mot, Demain, pour lui veut dire mort.

 Dans une année lumière de là, une vie apparaîtra sur une autre planète. Les nouveaux êtres verront la terre comme une planète inhospitalière ne pouvant accueillir la vie.

L'histoire se serait-elle déjà répétée ?

 

samedi 23 janvier 2021

Là où il y a du rève

 Naveed à 10 ans, endormi sur sa couche, il est dans un autre monde, dans ses rêves. Sa mère le secoue : «  Il est six heures ! Dépêche-toi tu vas être en retard! ». Il se frotte les yeux pour quitter cet univers où il se sentait bien.

Naveed part au travail, il à une dure journée devant lui, dix heures de travail, il émet un petit sourire, dix ans, dix heures. Il connait le chiffre dix, il a été un peu à l’école, à peine deux ans mais ses parents sont pauvres et n’ont pas de quoi nourrir leurs trois enfants. Il travaille à la tannerie, avec plein de gosses comme lui, à journée entière il charrie les peaux, les mettant sur sa tête. Ces peaux sont lourdes et son cou lui fait mal ; parfois il plonge dans la piscine pour laver ce cuir encore plein de poil. Naveed côtoie aussi les produits toxiques qui sont déversés dans la rivière.

Ici on emploi des gamins car on les paie dix fois moins cher, décidément ce chiffre, une fixation.

Naveed ne se plaint pas, le soir il va voir son meilleur copain qui, lui, a la chance d’aller à l’école. Ce dernier lui raconte les histoires qui sont dans son livre.

Le vendredi, seul jour de repos. Naveed doit aller chercher de l’eau de plus en plus loin à cause de la pollution. Le reste de la journée il peut jouer.

Le rêve de Naveed est d’avoir des chaussures de foot. Ironie du sort, ces chaussures sont faites du cuir qu’il transporte toute la journée, pour l’instant il joue pieds nus.

La vie suit son cours chaotique, comme la rivière qui charrie les poissons morts.

Un jour, un homme vient les voir à leur lieu de travail, il leur dit qu’il faut qu’ils aillent à l’école. Ça, Naveed en était conscient, mais là où une lueur d’espoir apparait, c’est quand le type leur dit qu’il est là pour les aider. Ce dernier s’est mis d’accord avec leur patron pour les laisser une heure par jour aller à l’école.

Rejwan demande aux parents si Naveed pourrait seulement travailler le matin et aller à l’école après. Les parents rechignent, le père est vieux et fatigué. Après palabres et concessions la mère est d’accord.

Le rêve de Naveed commence à prendre forme, à l’école justement on lui montre des chaussures de foot et on lui apprend qu’elles sont faites du cuir qu’il travaille. Rejwan leur dit qu’il veut faire une équipe de foot. Naveed est ravi.

Combien d’enfants travaillent dans le monde, dans les mines, les usines, les tanneries. Certainement qu’en cherchant sur Google on peut trouver, je vous laisse chercher car c’est mieux que de ne lire qu’un chiffre probable qui ne veut rien dire si on ne le compare pas à d’autres. Mais la question qui tue est combien de Rejwan tous ces enfants rencontrent-ils, ça je ne pense pas que Google le sache. Je ne me hasarderais à en annoncer un chiffre, je pense que je serais même trop optimiste.

Je suis allé en inde en voyage, un jour voyant un enfant tirer une charrette de bon matin ; je me suis fait une réflexion : Quelle distance! des années lumières nous séparent. J’ai jugé qu’il faut que certains matins, je repense à ce garçon ne serait-ce que pour ne pas l’oublier.

Quand, petit, je me plaignais, ma mère disait qu’il y avait toujours plus malheureux que nous. C’était une phrase facile, pas très optimiste, d’ailleurs elle ne me consolait pas trop. Il vaut mieux tirer les gens vers le haut comme le fait Rejwan plutôt que de leur dire regarde plus malheureux que toi.

Les hommes sont égaux nous dit l’évangile, les enfants ne le sont déjà pas dans leurs rêves. Ils ne le seront jamais dans la réalité.

mercredi 23 décembre 2020

Hiver!

 De gros nuages noirs glissent dans le ciel, ils tutoient les arbres, la cime de ceux-ci ploie comme ne pouvant supporter le poids de cette masse aqueuse. Parfois le vent balaie ces nues pour découvrir une voute blanche, alors la clarté intensifie le jour, laissant espérer un bout de ciel bleu percé d'un doux rayon de soleil.

Henriette, à sa fenêtre regarde l’hiver arriver. Des hivers elle en a vécu beaucoup, plus qu’il n’en faut, se dit-elle. Je suis entrée profondément dans l’hiver de mon existence pense-t-elle dans un soupir. Elle déclare à qui veut l’entendre que sa place n’est plus ici ; Pourtant elle s’accroche à la vie.

Henriette est d’humeur joyeuse ce matin, demain c’est la Noël et la famille va arriver. Un moment de bonheur. Ces enfants aiment à se retrouver autour d’une table bien garnie, « c’est de moi qu’ils tiennent cela ! ». Aujourd’hui ce n’est pas elle qui va faire le repas elle est trop faible. Paulette est là pour la remplacer. Paulette est la bonne, bonne à tout faire : le ménage, la lessive, le repassage mais aussi les soins du corps d’Henriette et le social avec ses rapports sur la vie de la commune. « C’est mon couteau suisse ! » rigole Henriette qui ne manque pas d’ironie. Elle ne le dit pas à Paulette car celle-ci va croire qu’elle perd la tête. Paulette ne comprend pas le second degré, pour elle la vie est simple, il n’y a pas deux façons de dire les choses. Paulette n’est pas très instruite et pourtant avec ce qu’elle sait faire elle pourrait en remontrer à beaucoup. L’expérience est la meilleure des formations.

Alors Paulette fait la cuisine, pas son meilleur savoir grommelle Henriette qui, d’un bond sort de son fauteuil, elle a senti une odeur de brulé. Avançant lentement avec ses béquilles elle tance Paulette qui lit le journal à la table de la cuisine.  -  vous ne sentez pas que ça brûle ?  - Vous inquiétez pas ! Ça cuit ! - ça ne cuit pas! ça brule !   déclare Henriette en soulevant le couvercle. Je veux que cela soit parfait déclare–t’elle en retournant à son fauteuil.

Henriette, son hiver, elle l’a connu en Février 46. La guerre finie, une vie agréable se dessinait, amoureuse de son Gaston, elle prévoyait des jours heureux avec lui et ses enfants. Ce jour là Gaston était parti dans la forêt avec son cheval et son tombereau. Gaston voulu enlever une pierre sous la roue quand le chien aboya sur un lapin, le cheval prenant peur fit un écart. La roue écrasa la tête de Gaston. C’est Fernand qui trouva Gaston sous la charrette et c’est lui qui vint annoncer le drame à Henriette lui creusant une crevasse à jamais dans le cœur. Henriette vit avec cette plaie depuis. Elle s’habilla de noir, couleur qu’elle ne quittera plus. Les gens étaient attachés, liés à leur amour à l’époque et rien, pas même la mort, ne pouvait rompre ce lien. Elle se consacra à ses enfants qui devaient affronter la vie, ce fut dur mais Henriette est contente du résultat. Ses fils ont su trouver le bonheur.

Alors Henriette guette le chemin par sa fenêtre, ce cadre qui lui sert de vue sur le monde extérieur. Malgré le ciel noir et bas, une lueur brille dans ses yeux. Cette lueur est son Noël, elle est impatiente de voir la voiture pointer son nez au détour du chemin.

Alors le temps sera au beau jusqu'à la fin de la semaine.

lundi 2 novembre 2020

Ce matin, l'info!

  Ce matin, comme souvent, je prends mon petit déjeuner en écoutant les infos pour savoir comment tourne le monde. Il ne tourne pas rond.

Tout l’été n’a été que catastrophes, guerres et autres drames. En général l’été c’est plus cool. Aujourd’hui on nous parle de guerre, de prise de pourvoir par l’armée, de politique politicienne.

On peut remarquer que l’info est de plus en plus mise en scène, les reportages sont scénarisés avec un ton d’acteur. Maryse Burgot, bon reporter par ailleurs, emploie des phrasés de comédienne, des phrases qu’elle laisse tomber, des respirations. Elle fait de plus en plus d’adeptes surtout chez les femmes, wokistes s’abstenir j’ai été sexiste. Si vous regardez les infos aux états unis les femmes ont des voix de plus en plus graves comme pour renforcer le sérieux de leur métier. C’est dommageable car l’information n’a pas besoin d’une mise en scène elle doit rapporter tous les événements pour que l’informé puisse se faire une opinion, ce dernier n’est pas au spectacle.

Alors je bascule sur Arte, cela m’arrive de plus en plus souvent. Là je vois un documentaire sur les percherons. Un souffle frais remplit la pièce, j’ai l’impression de retomber en enfance. C’est bien d’aujourd’hui qu’on parle, l’élevage des chevaux de trait au haras du pin. L’utilisation des ces animaux pour cultiver les vignes. Je suis de ceux qui, enfants,  côtoyaient ces bêtes.

En zappant Macron apparait à l’écran, il va encore dire tout et son contraire, les journalistes, les  experts nous expliquent ce que l’on doit comprendre des fois que nous ne serions pas assez intelligents. Tous ces gens qui gravitent autour de la politique nous arrosent de commentaires sur un sujet dont l’auteur n’en pensait pas le quart. Je me méfie des experts ils ne sont pas tous neutres ils ont parfois des intérêts à défendre travaillant pour le privé ; et puis ce sont eux qui se déclarent experts.

ReZap Notre percheron ne veut pas entrer entre deux rangs de vigne, on apprend alors qu’il ne maitrise pas la masse de son  corps, avec l’aide de l’homme il progresse. Nous voyons aussi deux policières chevauchant ces bêtes de plus de 800kg, elles patrouillent dans un grand parc pour la sécurité et les enfants viennent au contact des chevaux.

Tous ces politiques, ces journalistes ne sont pas dans le même monde que ce paysan parlant à son cheval. Les uns sont dans une classe à part qui passe son  temps à parler des autres sans savoir comment ces derniers se battent pour leur bien être. 

La bourgeoisie, tant décriée par François Bégaudeau (à suivre sur Youtube, il est intéressant)  n’est pas prête de laisser le pouvoir. 

Alors je zappe sur Arte.tv  (https://www.arte.tv/fr/)  définitivement car il y a là une mine de savoir. Des milliers de documentaires sur la santé, les big pharma, le cerveau, la nature, la géo ; des biographies, enfin c’est infini.

Arte nous bonnifie. Les mainstreams nous rendent idiots.

lundi 20 juillet 2020

Mélancolie

  En errant, flânant sur Youtube
je suis tombé sur cette chanson : "Melancholy Man" des Moody Blues. Pour ceux qui connaissent ou pas.
https://www.youtube.com/watch?v=FPqXQkyz6RM&list=RDFPqXQkyz6RM

Une espèce de mélancolie m'enlace, m’envahit. Je me souviens des moments de spleen et cette chanson reflète bien ces instants.

Je fais partie de cette génération. Je passais mon temps libre à écouter ces gens : Led Zeppelin, Uriah Heep,  Who, CCR, CSN&Y, Pink Floyd et plein d'autres.
Bien sûr, beaucoup sont retraités, bien que Mick Jagger et les Rolling Stones roulent toujours, pour ne pas amasser mousse.  Les groupes ont bien traversé ces temps apparemment, on peut en voir pas mal encore sur Youtube. Ceux cités plus haut dont j’ai encore les LP’s J'étais jeune à l'époque et je me suis formé avec leur musique, leurs envolées de guitare, leurs gesticulations sur scène, ils étaient libres, cassant le carcan qu’on faisait porter aux jeunes.

Un monde créatif et décalé, à la croisée des chemins, un monde charnière entre le temps de la guerre et celui d'un capitalisme pur et dur.

Que sont devenus ces gens pleins de rêves, pleins d'utopie? Ces gens de Woodstock, de l'ile de Wight.  Ces jeunes avec des fleurs dans les cheveux, révolution pacifique, changement de monde. Ces jeunes qui manifestaient contre la guerre du Vietnam, guerre créée de toutes pièces par les Etats-Unis.

Un monde plein d'espoir!

Les spectateurs des énormes festivals des années 60/70, eux, ont plié bagages et sont rentrés dans le monde qu'on leur dessinait, leur destinait. Ils sont rentrés dans le rang.

Peut-on les imaginer ouvriers, banquiers, traders, chefs d'entreprise maintenant?
Est-ce eux qui ont fait le monde dans lequel je vis là?

Il y a en a beaucoup qui sont devenus junkie aussi. Un écrivain dans un livre émettait l’hypothèse que la CIA, voyant ce mouvement de pacifistes s'étendre, aurait "arrosé" le pays de LSD pour les transformer en loque. Ouais, je sais, théorie du complot mais ils ont fait bien pire que ça; alors...
Dire que c'est la théorie du complot est une parade pour ne pas avoir à argumenter du contraire.

Maintenant ils élisent Trump et portent des armes à feu.
Ils se bourrent de Mac Do et deviennent obèses.
Ils ont envoyés leurs enfants à la guerre en Irak et en Afghanistan. Le "Peace and Love" d'hier est devenu "War and Hate". Le capitalisme a tout récupéré.

Mélancolie ou plutôt nostalgie, la mélancolie est définie comme une maladie. En cette période de confinement , de guerre et restriction la nostalgie peut nous habiter quelque fois.

Voilà ce matin j'étais mélancolique, nostalgique en faisant ce voyage dans les années 60 début 70 sur le net avec le Moody Blues.

vendredi 29 mai 2020

Le cheval qui courait sur un tapis!

 Le rayon de soleil vient taper à la vitre sale du hangar. Il suit sa course jusqu’à frapper l’œil de l’animal à l’intérieur.

Dans ce qui lui sert d’écurie, le cheval s’ébroue doucement, comme pour chasser les démons de la nuit. D’un pas lent il se dirige vers la barrière de son enclos.
Tous les matins c’est le même rituel, le cheval guette le chemin, il sait que son maître va venir, il l’aperçoit à une centaine de mètres, hennit pour l’encourager. Son maître, Maurice, il le reconnaîtrait entre mille.

Lorsque je passe devant son territoire, il vient me voir, parfois il n’est pas d’humeur, il me snobe. Je lui donne de temps en temps un quignon de pain, là, les caresses ne l’intéressent plus, il esquive ma main d’un air de dire « donne moi ton pain ! ». Je suis fier car quand je passe au loin il hennit pour me dire bonjour, j’ai remarqué qu’il ne le fait pas avec d’autres personnes.

Ce n’est rien à comparer de la fête qu’il réserve à son maître, j’en suis jaloux, l’autre matin je passais en même temps que son propriétaire il m’a ignoré d’une façon scandaleuse ; réservant ses hennissements et ses cabrioles à Maurice.
Les jours défilent tranquillement, et le passage des gens égaie les journées de l’animal.Son maître le met parfois dans un champ plus loin et je sens que le cheval n’est pas heureux alors je fais un effort pour lui rendre visite. 

Maurice tombe malade et ne peut plus s’occuper de l’animal. Le cheval attend, tous les matins, un maître qui ne viendra plus. L’ainé de Maurice décide de le vendre car personne n’aura le temps de s’en occuper. On met une photo de l’animal sur internet.
Un matin d’hiver, une grosse voiture noire avec un van vient le chercher, le cheval ne comprend pas ce qui lui arrive, lui qui n’a jamais quitter le village.

J’ai appris qu’il était dans une propriété d’un riche banquier, celui-ci l’a acheté sur un coup de tête pour le monter. Comme de toutes choses le banquier s’en fatigue et l’oublie. Pas tout à fait, car ce dernier a l’idée farfelue d’embaucher un lad et d’acheter un tapis roulant pour chevaux. Il souhaite que le cheval soit en forme le jour où, peut être, il aura le temps de le monter.

Depuis, tous les matins, à l’heure où Maurice venait lui donner son blé, le cheval est attaché à une barre de fer, le tapis se met à rouler et l’animal est obligé de suivre le rythme sous le regard complicedu lad.

Plus jamais, le cheval ne verra la vie du petit village, il ne courra plus dans le pré pour venir goûter mon pain. Il est devenu l’objet d’un homme qui croit qu’on peut tout s’acheter.

Il est victime de la bêtise du millionnaire.
* L'histoire du tapis est réelle, elle est racontée par l'écrivain Joseph Incardona dans l'émission "La grande librairie"

lundi 20 janvier 2020

Le Blues

  Assis au comptoir, devant mon verre, j’écoute le blues sur l’écran. Le barman est fan, la sono est bonne.

La guitare pleure ses riffs, elle laisse éclater sa douleur. Le chanteur enchaine et suinte sa mélodie.
L’instant est triste mais poignant, magique. On laisse une mélancolie  nous sortir des tripes. Une mélancolie optimiste dans le sens où elle va chercher au plus profond de nous même, jusqu’à devenir jouissance.

Le chanteur* enchaine sur un solo, grimaçant sur  chaque accord prolongé, vivant sa musique, son instrument n’est que partie de son corps. On s’envole transporté  par ses rythmes.

Je ne connais pas ce type qui chante au Royal Albert Hall, quelle maitrise. Il a 3 cuivres avec lui, deux batteurs, 3 choristes, un clavier, lui, sa guitare et sa voix. Tout cela est bien huilé. Youtube nous permet d’assister au concert. Les spectateurs, anglais, sont assis bien sagement dans leur fauteuil.

A coté de moi une fille, sacrément roulée, se trémousse en communion avec l’artiste, je me pense « quelle aura ces chanteurs ! Ils tiennent en haleine des milliers de gens en font rêver plus encore ! ».
Ma voisine m’ignore, elle est scotchée à l’écran. « Il faut que je me mette à la guitare y a pas moyen ! » Mais la communion est là et la jeune femme s’approche de moi en reculant pour venir se frotter doucement ; je soupire d’aisance essayant de capter ce moment que je sais furtif.

Les habitués sont silencieux, vivant l’instant. Un frisson passe dans la salle venant lier d’une même émotion toute l'assistance. Il n’y a que la musique, enfin l’art, pour arriver à cette communion.

Le type sur scène est en transe, sa veste de costume est trempée, sa rage toujours intacte, Après chaque solo il se rapproche du micro, arc-boutant ses épaules et donnant des coup de tête au  rythme de la batterie; tel un type possédé.

Le blues chante et pleure la vie.

*Joe Bonamassa - "Happier Times" - Live From The Royal Albert Hall


mercredi 1 janvier 2020

Flânerie

  Ce matin je prends le métro pour aller au travail.

Comme tous les matins d’ailleurs. Je n’ose compter combien de fois je l’ai fait, cela me donne le vertige d’y penser; d’ailleurs combien de fois faudra-t-il le faire pour arriver à la retraite?

Je préfère partir plus tôt pour être tranquille, sinon c’est la cohue on est pressé dans les deux sens du terme ; des odeurs mélangées vous soulèvent  le cœur, l’estomac se rappelle à vous d’avoir avalé trop vite votre déjeuner.

Le métro vous endort, vous y rentrez en pleine forme, vous en sortez comme dans un rêve. Pour cette raison, j’aime sortir deux ou trois stations avant mon terminus  afin de parcourir le restant du voyage à l’air libre, libre de mes mouvements, libre de mes pensées. Je me rappelle d’une époque où j’allais à pied au travail, deux kilomètres à parcourir et l’impression d’être reconnu sur mon parcours par les commerçants et habitués. Là, le métro est la promiscuité avec l’anonymat. Je regarde pourtant les usagers et en reconnait quelques uns, parfois je vole un sourire à quelqu’un qui, surpris, se réfugie dans son journal.

Il m’est arrivé de penser descendre à une station au hasard et passer la journée à flâner et  visiter ce qu’il y a là-haut. Mais le travail m’appelle et il faut bosser, mon éducation, notre éducation, dés l’école, est faite pour cela. On ne peut penser une vie sans travail ; moi, ado, j’y pensais.
A la question :
« Que veux-tu faire comme métier ? »
Poli, je répondais :
« Je ne sais encore ! » Mais pensais :
« Rien ! Pourquoi faudrait-il passer sa vie à travailler? »

Enfin comme dirait ma mère « tu ne connais pas ta chance d’avoir du travail ! ». Le monde à été conçu par des gens hautement placés qui nous utilisent comme puissance et force de rentabilité.  Ma chance à moi est que j’ai réussi à trouver un emploi intéressant. Quand je regarde mes compatriotes de voyage sous-terrain je ne vois pas, chez certains, l’enthousiasme sur leur visage qu’ils devraient avoir pour entamer une journée de leur vie.

Oui, je pense aller flâner de temps en temps comme, en marche vers l’école, traversant la campagne, il me prenait l’idée saugrenue et interdite de prendre un chemin de traverse et glaner des instants bucoliques.  Je me serais allongé dans l'herbe, à regarder le ciel bleu sillonné par le vol saccadé des hirondelles. J'aurais vu cette coccinelle gravir un long brin d'herbe et se noyer dans une goutte de rosée restée là comme par miracle. Sentir l'herbe fraiche en écoutant le ramage amoureux des oiseaux ; jusqu'à ce qu'une vache, plus curieuse que les autres, vienne me sentir de son museau mouillé et m'oblige à me lever. A l’époque, je ne l’ai jamais fait, l’éducation encore, l’école buissonnière c’est pour les cancres !

Maintenant mon errance se passe dans ma tète,  il m’est arrivé de laisser passer ma station d’arrivée. Ici dans la ville il n’aurait pas été question de champ et d’herbe. Tant de chose, pourtant à faire, visiter musées et rues, s’asseoir à une terrasse de café et pour le coup rire des gens pressés. Se reposer dans un square où les enfants s’ébattent dans un bac à sable ; un de ces enfants vous invitant à participer en vous tendant sa petite pelle. Il y aurait aussi les oiseaux dans les arbres qui discutent et me rappellent ma campagne, mais là, aucune vache ne viendrait me sortir de mes pensées.

Le son strident du métro me rappelle à la réalité, je descends de la rame pour suivre le flot des moutons.

Ce n’est pas encore aujourd’hui que je transgresserai l’ordre établi des choses. 

vendredi 6 décembre 2019

Lola

  Elle est sous son réverbère.

Elle frissonne dans ses cuissardes et sa mini-jupe, c’est la fin de l'été, le temps est encore agréable.
Bientôt l’hiver arrivera.

La nuit se meurt.

Alors que la ville s’éveille elle termine son job. Elle se voit déjà rentrer chez elle où l’attend son petit bout de vie encore endormi.
Elle rentrera dans sa chambre s’assurant du sommeil du petit enfant, retournera dans la cuisine préparer le bol, les céréales et le sucre. Puis ira s’asseoir sur le lit de sa fille, la regarder avant que le réveil efface l’innocence des rêves.
Le soleil glissera un de ses rayons sur le visage de poupée, éclairant d’ombre et de lumière ce portrait d’enfant qui doucement s’étirera.

Lola aurait aimé avoir un compagnon, lui préparer aussi son repas matinal afin qu’il parte rassasié à son travail. Elle lui donnerait son corps cet oasis fait de monts et vallées rutilantes ou il viendrait se repaître, oublier les tracas de la vie quotidienne.

Au lieu de cela, Lola est un désastre écologique à elle seule, ce corps, cette nature elle l’a transformée en usine, fabrique à plaisir où viennent se jeter des corps gras et puants. Elle recycle, purge et nettoie les cerveaux des types lubriques.

Elle assume, Lola, elle fait travailler son seul capital, enfin ce qu’elle pense être son seul atout.
A sa fille qui lui demande : « c’est quoi ton métier maman? » elle répond : « c’est donner du plaisir ». Le bonheur elle le réserve pour son enfant. 

« Bon pas rêver ! Il est l’heure d’emmener la puce à l’école» se dit-elle.


- Pourquoi je dois aller à l’école ? Maman. Je voudrais rester avec toi.
- Pour comprendre le monde mon cœur et avoir les armes pour te défendre!

mercredi 21 août 2019

Pour quelques quintaux de plus

  Un soir m'en revenant de l'étang. Je regarde les rayons du soleil jouer avec les feuilles des arbres. Je m’assieds dans l'herbe et écoute les oiseaux raconter leur folle journée faite de virevoltes et de piqués. Ces oiseaux rentrent dans leurs nids sur la haie. Les fleurs ondulent au rythme de la brise légère.
Je me dis que c'est peut-être cela le bonheur.

Pour quelques quintaux de plus on coupe les arbres, arrache les haies. Les oiseaux ne reviendront plus ici, ils iront gazouiller ailleurs. Pour quelques quintaux de plus ils peuvent bien aller voir plus loin. L'écureuil ne comprend pas pourquoi on lui a abattu sa maison c'est devenu un expulsé. Hier encore il sautait de branche en branche pour trouver les noix qui le nourriraient cet hiver. J’aimais cette lumière du soir avec un soleil rouge sang, embrasant le ciel. Ces ombres qui grandissaient et t’enveloppaient dans une pénombre annonçant le noir inquiétant de la nuit. Le soleil ne joue plus avec les arbres, même l'ombre a disparu.

Il n'y a pas si longtemps on disait "la nature est plus forte, elle reprend ses droits". L'homme peut s'enorgueillir d'avoir dompté cette nature. Il est plus fort qu'elle. Plus fort tant que cette nature est capable de le nourrir.
Vision à court terme.
Maintenant le vent balaie la plaine, soulevant la poussière, annonçant des tempêtes.
Ici c'est la déforestation, Là c'est la "débocagénisation".

Ici pour quelques quintaux de plus on surproduit.
Ailleurs, au loin, dans un autre monde, un enfant crie sa faim.

Dans 50 ans  on demandera aux enfants qu'elle est la couleur dominante de la région. Peu répondront le vert. Enfin! si ce n’était qu'une question de couleur. Cinquante ans à l'échelle de la création de cette terre c'est peu, c'est même pas une seconde.

Je regrette d'avoir vécu cette seconde.

Ces quelques quintaux de plus, je les aurais bien achetés pour garder les arbres et les haies. Pour un bonheur de plus ce n'aurait pas été cher payé. Je pensais que c'était le monde paysan qui m'avait donné cet amour de la terre. Maintenant je sais que non, c'est d'ailleurs pourquoi je suis parti.

J'aimais trop la nature.

J'aimais la nature, mais je m’aperçus bien vite que je ne pourrais pas en vivre. Je ne voulais pas devenir celui qui façonne la nature à ses besoins. Déracinant les arbres, nivelant les haies afin de faciliter le passage des machines. Arrosant de poisons cette terre pour produire plus, gagner plus, araser plus. Je n'aurais pas été en accord avec moi-même. Mettre un masque pour préparer les pesticides, les fongicides, les herbicides tous ces mots en «icides» qui veulent dire tuer. On en est arrivé à polluer les rivières à saturer les terres, à imbiber les nappes phréatiques. Tout cela pour produire plus, pour qui?

Pas pour le tiers monde qui crève toujours de faim.

Je suis un révolté de cette bêtise humaine qui ne voit pas plus loin que le bout de sa vie. Elle ne voit même pas la vie qu'elle réserve à ses enfants.  Elle vit au jour le jour, l'ambition est de gagner de l'argent, sans penser aux conséquences.
Je sais que leurs petits enfants pourront aller dans un musée voir ce qu'était une marre à l'ombre de grands chênes avec des grenouilles sur des feuilles de nénuphar. Ce vol d'une libellule se posant sur une grande herbe. Je me souviens encore de ruisseau ou enfant on allait jouer, faisant des barrages, inventant des bateaux avec un seul bout de bois. Déjà à cette époque on ne parlait plus d'écrevisses dans ces ruisseaux, ils avaient disparus. Puis on a remembré, drainé, enfoui ces ruisseaux, enterrant à jamais mes souvenirs, mes jeux.
Pourquoi suis-je aussi impliqué par ces ravages. Beaucoup s'en fichent, se justifient. Ils peuvent toujours justifier, je ne les entendrais pas.
Je suis fait comme ça.

Déjà à cette époque j'écrivais des pages sur la pollution. Ce n'était alors  juste que quelques accidents. Je savais que les Hommes vivraient un jour avec des masques. Je pensais alors voir le pire pour croire que ça allait changer.

La réalité dépasse toujours la fiction.

lundi 19 août 2019

Rock'n'Road

  La voiture roulait sur le  la voie rapide d’Angers.
A l’intérieur nous étions serrés, six ou sept, il n’y avait que moi qui avais une voiture.
Le lecteur de cassette distillait la voix envoutante de Stevie Nicks de Fleetwod Mac chantant «Storms ».
Filant au cœur de la nuit nous étions en communion, personne ne disait mot, voulant saisir cet instant de magie pour le stocker à jamais dans sa mémoire. Stevie pleure son amour disparu, mais peu importe les paroles, reste cette voix qui nous prend tous et nous emporte. Le moment est magique, on souhaiterait qu’il continue, quitte à refaire le tour de la ville.

La musique a ce pouvoir de marquer les instants de la vie et à jamais, enfin pour moi, à l’écoute, se rappeler exactement un instant. C’est un film qui se déroule pendant que la chanson s’écoule.
Bien sûr pour moi ce sont surtout les groupes américains et anglais des années 60/70.

Cette fille que j’ai prise en stop pour faire une cinquantaine de km. Après les présentations d’usage, voyant la discussion tourner court, j’ai mis une cassette de Crosby, Still, Nash & Young. La lune brillait sur la route, nous descendions des lacets; l’astre, à travers les arbres, jouait sur nous des ombres chinoises. La nuit était calme nous enveloppant de son manteau à notre passage. Nous étions silencieux et les voix en cœur du groupe collaient exactement à l’instant, nous transportant dans nos rêves.

A l’arrivée la fille m’a juste dit « merci pour cet instant magique ».Je n’ai jamais revu cette personne mais à chaque fois que je mets CSNY je m’en souviens. Peut être que cette fille ressent la même chose après des années.

Nous roulions sur la route des vacances, la cassette nous inondait d'envolées de guitare d'Uriah Heep. La Simca 1100 blanche filait sa route. Derrière trois copains, copines silencieux; à mes côtés, toi. Nous étions en symbiose tous les cinq. La musique, le soleil, la route ; au loin la mer et l’horizon de liberté. Tout était possible en cet instant.

La musique m’a toujours habité, et plus encore dans les moments difficiles.

mercredi 13 février 2019

Drone

Le soleil tape sur le désert de cailloux. L’ombre est rare,
il faudrait se glisser derrière un rocher pour la trouver.
La petite fille habituée, joue avec une poupée,
la faisant danser pour soulever ses habits au vent.

La climatisation ronronne gentiment dans le bureau, il fait bon devant l’écran.
Le ventilateur fait danser les bouts de tissu accrochés.
L’homme se prélasse en jouant à un jeu de cartes
tout en jetant un œil à l’autre console.

La petite fille voit le berger sortir ses moutons,
il porte un fusil en bandoulière au cas où quelques perdrix passeraient par là.
Elle le regarde se préparer aller quérir quelques herbes pour ses bêtes.

L’homme se concentre sur son jeu.
Une activité semble apparaître sur l'autre écran vert;
dans le flou de la vidéo il croit distinguer un homme armé.
Il essaie de bien comprendre ce qu’il voit car les ordres sont stricts: si une activité semble suspecte il faut intervenir.

La petite fille met sa main en pare soleil de façon à bien scruter le ciel où un vrombissement ne cesse d’emplir la vallée depuis ce matin.

L’homme a contacté le commandement : « En cas de doute on tire! ».
Abandonnant sa partie de cartes, il prend la souris et clique sur l'icône « Fire ».

La petite fille court vers son père, elle a vu quelque chose dans le ciel et veut l’avertir.
Encore dix mètres mais une boule de feu embrase le berger et son troupeau.
Elle s’arrête.
Deux secondes plus tard, la boule la prend et la couche au sol, la poupée s’enflamme.

L’homme se lève et s’étire. Il a faim.
Sa journée est terminée.

Le nuage de fumée se dissipe lentement dans la vallée.
Le grondement de la mort s’enfuit se répercutant sur les montagnes.
Tout n’est plus que désolation, seules les pierres ont résisté.

La vie a disparu.

jeudi 30 août 2018

Ainsi va la vie!

Le soleil tape sur le Il fait chaud sous le soleil qui tape sur la tête malgré la casquette épaisse. Marcel travaille aux champs, son père l’a mis à quatorze ans comme commis dans une ferme. Il respire la santé après quatre ans de travaux de force en plein air. Apprenant son métier au fil du temps. Il aime les bêtes et travailler la terre.

Mais Marcel est préoccupé, il veut marier la Denise et il lui faudra gagner plus d’argent. Ce n’est pas son salaire de misère qui fera vivre le couple. Alors il y a l’autre solution, l’usine. Tous ses copains y vont d’ailleurs surtout à l’usine d’amiante où on paie plus qu’ailleurs. Les avantages sont nombreux, toucher son salaire quoiqu’il arrive, avoir des congés et payés en plus ce qu’il a du mal à comprendre; sa vie sera réglée; plus besoin de regarder le ciel pour voir ce qu’il lui réserve.
Donc demain il prendra son vélo et descendra dans la vallée pour y rencontrer le nouveau contexte de sa vie professionnelle.
La paie est bonne. Lui et sa femme peuvent faire des projets. Ils vont à la banque pour contracter un emprunt qui leur permet d’acheter une petite maison à l’orée du bourg. Doucement la vie prend ses marques, lui, régulier dans ses horaires, part et revient du travail pendant que Denise s’occupe de la maison et s’entraide avec ses amies. Le soir, en montant la côte raide de la vallée, Marcel fait des projets dans sa tête, il est heureux et rien ne peut gâcher son bonheur.

Il lui a bien fallu s’habituer à la chaleur de l’usine, surtout à cette poussière suffocante au début, maintenant c’est devenu sa compagne de travail, cette poussière il l’a ramène même chez lui et sa femme a du mal à laver cette poudre grise. Mais ce n’est pas ces petits inconvénients qui entament la joie de notre homme. Les jours passent succédant aux mois et aux années. Un bébé est venu animer la maison.
La montée est de plus en plus difficile, Marcel s’essouffle plus rapidement, le poids des ans sourit-il optimiste même si une toux insistante vient troubler sa quiétude. Une rumeur commence à poindre dans le village, deux hommes arrivant à la retraite sont morts malades des poumons, ils travaillaient à l’usine de Marcel. Ce dernier se dit qu’ils n’étaient pas si robustes que cela ; ils buvaient aussi pour étancher toute cette poussière accumulée dans leur gorge. En haut de la vallée, quand le vent vient de l’ouest, on sent parfois l’odeur que disperse cette brise, « l’odeur du Roqueret dit-on! » lieu où est implantée l’usine.

Les rumeurs circulent mais on ne dit pas de mal d’une entreprise qui donne du travail à la majeure partie de la région et permet au bourg de se développer. Marcel devient de plus en plus sombre, le matin il a des quintes de toux en se levant. Sa femme s’inquiète. Cette poussière semble avoir raison de l’optimiste de l’homme; en fait de compagne elle devient petit à petit une ennemie à son bonheur. Un jour il se décide d’aller voir son médecin. Ce dernier lui rétorque que c’est un mauvais passage qu’avec un peu de sirop ça va passer. Ce praticien voit passer de plus en plus de gens comme Marcel mais il ne cherche pas à comprendre les raisons; se ralliant à l’opinion publique comme quoi l’usine fait vivre le village. Dans ce monde d’origine paysanne et chrétienne on ne critique pas ceux qui donnent du travail aux populations.
De plus en plus de personnes meurent de ce qu’on n’appelle pas encore le cancer de l’amiante. Dans le village il était de coutume de dire « les gars de l’usine passent rarement la première année de retraite ! » Comme si le mal à l’intérieur des corps se révoltait pour un besoin d’amiante.

Si je raconte cela aujourd’hui c’est que je suis tombé sur l’interview d’un type qui a fait un documentaire sur l’amiante. Il est parti du journal intime de son père retrouvé une dizaine d’année après la mort de l’auteur. Son père ne bossait pas à l’usine, il était instit puis proviseur, son amiantage (mot vulgaire !) il l’a eu dans l’école où il travaillait. En échange d’aide financière on lui a demandé le silence sur le lieu.
Il y a deux ou trois ans en prenant le train j’ai croisé des gens qui parlaient du pays, je les ai accosté pour leur demander d’où ils étaient ; c’étaient des syndicalistes de Condé-sur-noireau ils venaient régulièrement à Paris négocier des indemnités pour les amiantés. Le grand public a commencé à en entendre parler dans les années 70. Des chercheurs de l’université de Jussieu à Paris se plaignaient de poussières qui venaient troubler leurs expériences chimiques. Il a fallu attendre encore 20 ans pour que le scandale éclate vraiment et que l’on s’aperçoive que les industriels et experts à leurs bottes savaient mais ont continué à exploiter et nier la dangerosité de ce produit. Je n’ai pas le courage de parler de ces criminels impunis.

Et le Marcel dans tout ça ? Vous me direz ! Il a profité de sa retraite étant pris assez tôt pour que l’on sauve un de ses poumons. Accroché à sa bouteille d’oxygène, il regardait les paysans travaillant leurs champs en se disant, avec un soupçon de regret, « ainsi va la vie ! ».

samedi 17 février 2018

En attendant les mots croisés

Aujourd’hui c’est Vendredi.

Le Vendredi était un jour particulier pour Maman. Elle recevait les mots croisés d’Ouest-France. Des mots croisés de Laclos relativement compliqués. Si le journal venait à manquer la journée était gâchée. Son premier travail était de me les envoyer par mail, elle ne manquait jamais ce rituel. Après elle n’était plus joignable jusqu’à ce que la grille soit remplie.

Aujourd’hui j’ai ouvert mes mails. Les mots croisés n’y figuraient pas. Ils n’y figureront plus jamais d’ailleurs!. Ce n’est pas le fait des mots croisés, je ne les faisais pas toujours, de temps en temps seulement. Ce qui me manque c’est autre chose une ambiance, une atmosphère. Ce genre de choses qui deviennent des souvenirs s’éloignant de la réalité au fil des jours s’égrenant.  C’est bizarre lors de la perte de quelqu’un de cher, on s’accroche à des choses que l’on ne voudrait pas oublier, des moments qui retiennent la personne disparue à portée de pensée. 

L’usure du temps rognera petit à petit ces souvenirs. C’est ainsi, le cerveau est bien conçu il n’est pas brutal, il évapore la personne disparue comme le brouillard se dissout dans un matin d’automne. Même en s’accrochant à ces sensations, le rythme du temps fait que, comme sur une route, on s’éloigne de la présence de l’être disparu. C’est sûrement mieux ainsi, la vie continue sa course inexorable. Des bribes reviendront de temps en temps nous rappelant les atmosphères dont je parlais plus haut.

Ces derniers temps, signe d’une fatigue implacable, Maman avait plus de mal à finir sa grille et malgré sa hargne connue, il lui arrivait plus fréquemment de jeter l’éponge avant la fin. Son dernier geste à la table a été de remplir quelques cases d’une grille a jamais terminée. 

Voilà ce n’est qu’une histoire de mots croisés, c’était une partie importante de la vie de Maman.

La mort n’est pas une fin en soi.

Nous ne savons rien du devenir de la personne décédée, beaucoup de gens en ont tué beaucoup d’autres pour imposer leur façon de voir la mort.
Pour les proches, pour qui le début d’une autre vie commence, ce n’est pas une fin en soi.
Bien sûr la vie ne va pas être bousculée mais cet événement va modifier son contexte et du jour au lendemain il faut intégrer ce changement.
La famille est une chaine avec pour maillons les personnes, quand  le maillon le plus vieux  tombe la chaine reste solide. C'est plus grave lorsque qu’un maillon du milieu tombe, la chaine devient plus fragile.

Nous apprenons beaucoup de nos parents.
Ces dernières années j’ai appris beaucoup sur ma mère. Elle me racontait des fragments de sa vie comme des puzzles à reconstituer. Je me suis posé la question de savoir pourquoi ces épisodes arrivaient parcimonieusement comme s’il y avait de la pudeur et que point trop fallait en dévoiler à chaque fois. Je me suis aperçu malgré tout qu’elle avait vécu de bons moments, ce dont je doutais, en espérant que ce ne soit pas que de la nostalgie. Elle m'a permis de pouvoir raconter certaines histoires.
Maman avait un dictionnaire de dictons implacables qui lui régulait sa vie.
J’en citerai  quelques-uns : Il y a plus malheureux que nous ; à un cheval donné on ne regarde pas la dent, on fait ce qu’on peut pas ce qu’on veut, c’est le bon dieu qui décide, c’est le destin, il faut mériter sa vie enfin ce dernier, je ne sais si elle le disait mais elle me l’a imposé. Je me battais quelques fois avec elle lorsqu’elle lançait ces flèches empoisonnées en lui disant qu’elle pouvait jouer sur le curseur de sa vie et essayer de voir les choses avec optimisme. C’était peine perdue. On ne peut pas donner du bonheur à quelqu’un malgré lui ; juste un peu de confort; c’est un regret que j’aurais.
Cette façon d’être lui a été inculquée dès son enfance je pense, elle a su qu’elle serait la remplaçante d'une sœur décédée. Il n’était pas question de psy dans son monde.  Ce caractère forgé comme un maréchal ferrant tord le fer la poursuivra toute sa vie. En ce qui me concerne en tant qu'enfant peut-être lui manquait-il un peu de fibre maternelle? mais elle a tout fait pour que l’on soit bien.

Elle aura connu la majeure partie de l’évolution du vingtième siècle.
Elle a quitté le monde paysan du 19eme siècle pour entrer en  pleine révolution industrielle. Elle a subi l’occupation allemande dont elle disait ne pas en avoir souffert. Après c’étaient les bonnes années à la ferme ou un monde grouillait avec une convivialité à jamais perdue. A cette époque les parents étaient patron.  Puis la mécanisation est arrivée, les commis et hommes de journées sont partis à l’usine et la banque est devenu le patron (impersonnel comme disait Steinbeck)  Maman a eu du mal à l’accepter elle s’est retrouvée enfermée seule dans sa salle de traite, comme à l’usine, se rappelant la traite aux champs avec les gens chantant et discutant sans arrêt. J'ai appris cette abnégation à cette époque et l'ai vraiment vue basculer dedans.
On aurait pu la croire réfractaire à l’évolution mais quand ses petits enfants ont débarqués chez elle avec leur GameBoy elle a décidé d’en acheter une afin de partager des choses avec eux. Puis elle a poussé son mari à l’emmener aux cours d’informatique et c’était une fierté quand j’en parlais à mon travail. Elle avait un côté artiste, tricotant des pulls qui ont fait les beaux jours des écoles jusqu'à Paris.Sur l'ordinateur elle confectionnait ses cartes de tables pour les fêtes.
Pour Maman la vie devait se mériter et même dans ses loisirs il y avait une abnégation qui me faisait froid dans le dos.
Je ne voudrais pas la quitter sans me souvenir de son humour sans en avoir l’air. De Nicole sa personne de compagnie elle disait : "elle me raconte la vie à l’extérieur c’est mon Google à moi"
c'est sa dernière blague il y a tout juste quelques jours.
Voilà cette génération a vécu beaucoup plus de choses que nous ne pourrons en vivre et j'espérais encore la questionner sur cette époque car il ne reste plus beaucoup de témoins.
Pour ceux qui croient, maman est partie retrouver son mari avec lequel je me souviens d'un couple heureux et complémentaire.
Dans tous les cas elle doit reposer quiète et en paix avec la vie.

Alors! Nous polluerons ailleurs

 Le fleuve charrie des mousses blanches ; un petit garçon se baigne en jouant avec la matière volatile ; plus loin un bœuf se désaltère dans...