Paul prend le métro comme d'habitude, il est ailleurs, comme d'habitude
aussi, présent en corps et en espace mais son esprit vagabonde.
Ce matin son réveil lui a distillé une musique: "Ton histoire"
d'Isabelle Boulay; ce n’est pas tellement son genre de musique, pas du tout
même, mais cette voix chaude, cet accent, le souvenir qu'il a de la chanteuse
rousse. Il soupire et tombe sous son charme. Il sait que cet air va le hanter
une partie de la journée. Il sait aussi que tout est question de contexte,
surtout la musique, elle véhicule des embolies de sentiments, plus tard cela se
transformera en souvenirs. Le décalage est énorme quand il pose son regard sur
ces collègues de voyage. Que pensent-ils eux? Ont-ils un refrain dans la
tête? Des souvenirs. Il lève la tête et s'attarde à regarder ses voisins.
Le jeune cadre dynamique, costard cravate, tiré à quatre épingles. Son attaché
case en accord avec sa montre et sa gourmette. Les cheveux gominés, les
souliers cirés. Brillant à l'intérieur comme à l'extérieur. Il est déjà dans
son job et son regard vous snobe.
La femme qui se maquille plus chez elle, pas encore au travail. Elle prend
l'espace temps, elle gomme, elle aplanit les rides de la nuit. Encore un peu de
mascara, le miracle s'accomplit, elle rayonne. Elle peut affronter le monde des
affaires.
Cet adolescent, le casque sur les oreilles, les yeux roulant sur sa petite console,
il ne vous remarque même pas, vivant dans son monde virtuel. Il bat le rythme
de sa musique avec sa tête, pianotant sur son engin comme s'il inventait la
mélodie qu'il écoute. Il repartira sans laisser de trace.
Ce clochard qui en 2 minutes vous raconte sa vie, ses malheurs, sa haine de la
société. Discours auquel il ne croit même plus. Il quémande, fait l'aumône vous
tendant la main, passant sans s'arrêter. Une pièce par ici un ticket par là,
son maigre butin lui fera espérer un jour meilleur.
"Ce monde souterrain, nouvelle génération de taupes nous sommes!" pense Paul.
Et son refrain lui hante sa mémoire.
Il voudrait, il en a besoin. Besoin de s'évader, de se dire ce n'est pas ma
station mais je sors, je quitte ce monde monotone pour mon imaginaire.
Puis, d'un coup au signal sonore, Paul se lève, saute la porte, fait le pas en
quelque sorte. Le pas, le seul, celui qu'il fallait oser, celui qui va le
guider, l'emmener vers un monde. Un autre monde.
Il se retrouve seul sur le quai voyant ce long serpent de métal se fondre dans
la nuit. Il est abasourdi d’avoir osé , hésitant un instant; une petite voix,
celle de la raison, penseront les timorés, lui dit: "Attend le prochain tu
pourras te remettre sur les rails de ta vie". Mais Paul ne l'écoute pas il
sait que c'est le moment, jamais il n'aura plus d'occasions si belles, jamais
plus il n'osera; donc c'est maintenant.
La vie ne le
poussera plus, c'est lui qui bousculera sa vie.
Un jour
nouveau se lève en gravissant les marches, Paul se redresse, déchargé d'un
fardeau invisible. Le poids des ans évidemment mais aussi le poids de la
routine. Il se sent léger mais inquiet un peu, c'est vrai il a osé, le premier
pas il l'a fait, mais il faut que d'autres suivent pour avancer dans son nouvel
environnement.
D'abord se
dit-il prenons l'espace temps, plus cette contrainte; c'est déjà une
grande liberté même si les habitudes étaient confortables en ce sens qu'on
n'avait qu'à se laisser porter. Il décide donc de s'asseoir sur un banc public
dans le square proche, c'est le printemps et les oiseaux sont déjà à leurs
bavardages, leurs constructions et leurs amours; ce petit monde grouille pour
qui veut les entendre, l'oreille peut être sélective, un petit effort et les
bruits de la rue s'estompent laissant la place à ces sifflets et autres
piaillements de moineaux.
Les arbres
finissent de sécher leurs feuilles fraiches de rosées aux rayons du soleil
naissant. Un air de fête envahit notre spectateur, il se remémore la chanson de
Trenet :"Je chante".
Les gens pressés le regardent d'un air inquiet, troublant leur routine.
Ils n'aiment
pas, les gens, qu’on s'arrête, essayez de vous arrêter sur un trottoir pour
regarder un nuage rouler dans le ciel, on va vous apostropher, sans vous parler
bien sûr, des réflexions vont fuser. Comme quoi vous empêchez les personnes de
vaquer, de courir à leurs occupations, leurs obligations.
Obligations surtout, sinon ils seraient plus à l'écoute.
En face, un
bruit l'interpelle, il vient de la boutique florale ; un pot est tombé et
les fleurs reprennent leur liberté sur ce macadam hostile. Paul se précipite,
il commence à ramasser et former un bouquet anarchique; lorsqu'il lève la tête
et tombe nez à nez avec une beauté. Un visage rayonnant le bonheur, lui sourit,
un peu inquiet. Une chevelure de feu enflamme ce visage qui vous mange de ses
yeux verts.
« Juste ces fleurs... tombées ... je ramassais; bredouille t'il !
- Merci, ce n'est pas grave dit-elle en souriant, je vous remercie. »
Paul, voit ce visage s’illuminer et reste bouche bée, les fleurs pendant
au bout de son bras, il reste ainsi un bon moment jusqu'à ce que
- Ça va monsieur? Venez, rentrez un peu vous reposer.
Il l'a suit dans l'arrière boutique ou un petite table trône au milieu de
la pièce, une gazinière dans le coin, coincée entre un petit frigo et une
étagère. Il s’assit sur la chaise que lui présente la jeune femme.
- Je m'appelle Véronique, Véro pour les proches.
- Bonjour! Moi c'est Paul, excusez moi pour le dérangement!
- Le dérangement? Mais non c'est moi qui vous invite, je vous offre à
boire? Vous m'avez l'air de sortir d'un rêve ça va?
- Oui merci, juste un peu déboussolé.
Maintenant ça va !
vendredi 25 avril 2025
Routine !
mardi 1 avril 2025
Une nuit en l'attendant
La nuit enveloppe les bâtiments d’un voile soyeux. Elle aplanit les
laideurs du jour, pensais-je! La nuit pénètre par la fenêtre et envahit
lentement la chambre où je suis. Allongé sur un matelas à même le sol je
la regarde progresser lentement sur le plafond. Avec elle le silence se
fait tout doucement ponctué seulement de quelques bips qu’égrènent les
machines. Les bruits de la journée sont devenus plus rares, plus
feutrés. La chambre plonge dans une torpeur. Le noir est troué de
lumières vertes et bleues qui jouent sur les murs des ombres féériques.
Je saisi l’instant presque magique mais je ne suis pas seul dans cette
chambre.
Sur un lit, un enfant est étendu sur le dos, il ne bouge pas,
on n’entend pas son souffle, il est de marbre.
Je suis
là, à l’hôpital, car le médecin m’a dit ce soir que mon fils ne
passerait peut être pas la nuit, une dose de chimio trop forte et la
petite usine chimique de son corps s’est mise à s’emballer; c’est comme
une réaction nucléaire en chaine qu’on n’arriverait plus à contrôler.
C’est l’image que je m’en fais car le toubib y est allé de ses grands
mots savants mais j’aime traduire pour avoir une image contrôlable, elle.
Je l’attends ! C’est la nuit qu’elle arrive.
La
porte s’entrouvre, je fais semblant de dormir pour ne pas déranger
l’infirmière de nuit. Elle s’affaire deux ou trois minutes autour du lit
puis ne l’entendant plus je risque un œil, je la vois de dos elle est
agenouillée devant mon fils et elle prie. « Quelle force dans sa
croyance me dis-je ! » dans ce lieu où des enfants souffrent où
quelques-uns meurent aussi, comment peut-on croire encore à une
quelconque force supérieure. Cette croyance je la respecte, je connais
la personne c’est une seconde mère pour tous ces enfants qui dorment
loin de leur foyer. C'est une sainte! J’aimais la voir le soir quand je
laissais mon fils seul la nuit; je savais qu’elle s’en occuperait bien.
Des larmes me viennent à la voir là. Je l’aurais embrassée pour
l’instant d’amour qu’elle donne.
Elle sort!
Je reste pétrifié sur mon matelas.
Je l’attends ! Faut pas que je m’endorme
Dans
quel monde suis-je en ce moment, un monde qui peut basculer d’un
instant à l’autre, je guette le son de la machine qui va déchirer ce
calme pour nous dire « c’est fini ! ». Ces robots faits de clignotants,
de chiffres et de bruitages paraissent les seuls choses vivantes. Ces
machines relient l’enfant à une vie artificielle et guettent elles aussi
les réactions du corps pour nous alerter le cas échéant.
Cela fait des
mois que cette chambre est notre seconde maison. Nous y passons une
partie de notre temps, nous y mangeons, parlons, rions, pleurons,
jouons… enfin nous y vivons. Des jours d’espoirs, de victoires, d’autres
de défaites et de souffrances. Allez dans un hôpital d’enfant! Vous
prendrez une leçon d’optimisme. Les enfants y sont souvent plus forts
que nous adultes; ce sont eux qui nous soutiennent. J'y ai connu des
héros de la vie même si l’innocence de l’enfance leur manquera toujours
quelque part.
Je la guette! Elle et sa faux.
C'est étrange de voir un enfant, si vivant, rester
allongé sur le dos sans aucun signe qui peut nous laisser espérer. Un instant
j’ai l’impression qu’il en a eu marre, qu’il se laisse partir, abrégeant ses
souffrances. J’ai peur aussi qu’il veuille abréger les nôtres. Je voudrais lui
dire, avant, combien j’ai aimé notre combat ensemble que, si j’ai désespéré
parfois ce n’est pas à cause de lui, c’était une faiblesse de ma part.
J’aimerais lui dire et lui dis que j’ai tant de choses à vivre avec lui avant
qu’il s’en aille; qu’il ne peut pas partir comme cela, même s’il veut faire un
bras d’honneur à la vie qu’on lui inflige. Que peut être le combat en vaut
encore la peine.
J’essaie de m’en persuader.
Elle est là! Je la sens.
Parfois
je crois sentir son souffle mais ce n’est que l'air du climatiseur. Mes
paupières s’alourdissent, les minutes, les heures défilent à un rythme
défiant la tortue de la fable. Une lueur me semble-t-il dans le ciel; La
clarté chasse la nuit et ses ombres; enfin le matin va apparaitre, je
me lève et m’approche de mon enfant il est toujours là avec nous.
Elle n’est pas venue !
Cette nuit nous aurons gagné, mais combien de nuits tiendrons-nous ?
Deux
jours plus tard alors que je veillais mon fils, j’ai repéré un petit
battement de cil. Je lui ai parlé, j’ai décidé de mettre le CD de
Balavoine qu'il adorait, j'ai fredonné comme on faisait ensemble et il a
émis quelques sons, c'est ainsi qu'il s'est réveillé.
La vie, en suspend jusque là, recommençait.
lundi 24 mars 2025
Drone
Le soleil tape sur le désert de cailloux. L’ombre est rare,
il faudrait se glisser derrière un rocher pour la trouver.
La petite fille habituée, joue avec une poupée,
la faisant danser pour soulever ses habits au vent.
La climatisation ronronne gentiment dans le bureau, il fait bon devant l’écran.
Le ventilateur fait danser les bouts de tissu accrochés.
L’homme se prélasse en jouant à un jeu de cartes
tout en jetant un œil à l’autre console.
La petite fille voit le berger sortir ses moutons,
il porte un fusil en bandoulière au cas où quelques perdrix passeraient par là.
Elle le regarde se préparer aller quérir quelques herbes pour ses bêtes.
L’homme se concentre sur son jeu.
Une activité semble apparaître sur l'autre écran vert;
dans le flou de la vidéo il croit distinguer un homme armé.
Il essaie de bien comprendre ce qu’il voit car les ordres sont stricts: si une activité semble suspecte il faut intervenir.
La petite fille met sa main en pare soleil de façon à bien scruter le ciel où un vrombissement ne cesse d’emplir la vallée depuis ce matin.
L’homme a contacté le commandement : « En cas de doute on tire! ».
Abandonnant sa partie de cartes, il prend la souris et clique sur l'icône « Fire ».
La petite fille court vers son père, elle a vu quelque chose dans le ciel et veut l’avertir.
Encore dix mètres mais une boule de feu embrase le berger et son troupeau.
Elle s’arrête.
Deux secondes plus tard, la boule la prend et la couche au sol, la poupée s’enflamme.
L’homme se lève et s’étire. Il a faim.
Sa journée est terminée.
Le nuage de fumée se dissipe lentement dans la vallée.
Le grondement de la mort s’enfuit se répercutant sur les montagnes.
Tout n’est plus que désolation, seules les pierres ont résisté.
La vie a disparu.
jeudi 20 mars 2025
Nostalgie
Il se lève ce matin, la tête bourdonnant des climatiseurs et épurateurs d'air qui ronronnent sans arrêt, le retenant à cette vie précaire. Par la vitre sale, il voit la boule de feu déjà en action asséchant encore le peu qui puisse rester de viable. Son souvenir des nuages se dissipe de jour en jour. Il sait que bientôt il ne pourra plus se rappeler ne serait-ce leur forme dans le ciel. Ni la goutte d'eau qui vient s'écraser sur votre front donnant une impression de fraîcheur. Les dernières pluies ici étaient acides, il fallait justement éviter de les recevoir. Comment en est-on arrivé là ? Cette question lancinante lui trotte dans la tête. Question sans aucune importance maintenant.
La couleur
verte a disparu du paysage laissant le brun et le noir s'installer; est-ce une
simple question de couleur? Forcément non mais peut-on lui enlever jusqu'à
cette notion?
L’Homme cela lui a pris comme ça, comme dans un rêve démentiel. Un
cauchemar.
D'abord il a voulu mettre son image partout, se mettre en publicité, en
actualité. Il abat les arbres, déforeste, pour en faire du papier, des
affiches. Il a commencé à cacher le paysage, comme s'il voulait ne pas voir ce
qu'il détruisait.
Puis il a construit des maisons de plus en plus grandes. Bien sûr il plantait
un arbre de temps en temps pour en garder le souvenir. Les Immeubles
grandissant ont commencé à couvrir les arbres de leur ombre, ces derniers sont
morts desséchés. Le béton a remplacé le parc naturel couvert d’herbes folles.
Il a voulu se déplacer, il invente donc des machines, il faut les nourrir ces machines. Heureusement la terre nourricière est là avec ses réserves de pétrole. On pille et même si quelques cargos chavirent, laissant de larges larmes noires sur la face de la mer, on se dit que le jeu en vaut la chandelle. La flamme il faut pouvoir la laisser allumée, comme l'homme de Cro-Magnon voulait la préserver. Les usines et les véhicules crachent leur venin invisible trouant notre toit protecteur. Empoisonnant notre air.
Il y a bien des alertes, Seveso, Bhopal, Tchernobyl etc. Mais on se dit que se sont des erreurs qui ne se reproduiront plus. Après un instant de stupeur, la frénésie reprend ; surtout que les profiteurs n’habitent pas auprès de ces bombes en puissance.
L'Homme est donc pris d'une frénésie, non seulement il ne veut pas s'arrêter mais il court, il casse, il tue. Bientôt les forêts disparaissent laissant place à des langues de terre desséchées que même les fleuves ne peuvent abreuver. Des mers s'évanouissent découvrant des carcasses de cargos, des neiges d'antan s'évaporent vieilles de milliers d'années.
L'Homme il lui a fallu 50 ans pour assécher sa terre nourricière. On respirait encore à l'époque mais la dioxine et les gaz que génèrent les déchets remplacent notre gaz vital. L'Homme n'est pas à cours d'idée il crée des masques pour pouvoir continuer sa destruction, Le masque lui permet aussi de se cacher. Au début on s'interroge on voit des cyclistes masqués puis on s'habitue. On entend parler de pluies acides, mais pour l’instant ce n'est pas encore très inquiétant ce ne sont que de petites pluies.
Il ne fallait pas accepter, dès le début, car il suffit aux pollueurs de gravir les paliers plus ou moins sensibles de la résignation. On parle du futur mais les puissants ne vivent qu’au présent, ils prennent et ne se projettent pas dans l’avenir, le futur même de leurs enfants.
L'eau est
devenue rare, ce sont les pays pauvres qui ont commencé à mourir. Dans les pays
riches on a pompé tout ce que l'on pouvait pomper. Les mers, les glaciers, les
nappes souterraines tout y est passé reculant de quelques années le cauchemar
que d'autres vivaient.
Des îlots, des oasis se sont créées entourées de murs et barbelés gardés par
des armées. Des millions de gens y ont péris autour ; faute d'eau ils y
ont versé leur sang. Maintenant ce sont les dirigeants, les vrais pollueurs qui
y vivent, pour combien de temps encore.
Ou est passé cette cascade sur la rivière. Elle déployait son rideau de brume
aqueuse que venait illuminer le spectre coloré du soleil. Le promeneur, armé de
patience, aurait pu y voir un écureuil s'y rafraîchir ou ce raton laveur sécher
ses poils brillants à la chaleur des rayons. Tous les sens y étaient mis en
éveil.
L'ouïe d'abord avec cette mélodie de l'eau sur les rochers, rehaussée de chants
d'oiseaux et ponctuée de bourdonnements d'abeille.
L'odorat ensuite par le bouquet de l'herbe humide agrémenté des parfums de
fleurs des prés.
Le goût après en se rafraîchissant de cette onde; croquant une fraise sauvage.
Le toucher en laissant filer entre ses doigts cette force insaisissable.
La vue bien évidemment, imaginant qu’il y a plusieurs milliers d'années de cela
quelqu'un assistait au même spectacle.
Où sont tous ces plaisirs à jamais disparus? Pendant plusieurs millénaires des hommes ont pu y goûter. En quelques décennies tout a disparu, l’eau, l’herbe, les fleurs, la musique plus rien de tout cela. Tout n'est plus que sable, poussière (tu retourneras poussière !).
A l‘échelle de l’âge de la terre, 50 ans n’est même pas une seconde. Je regrette d’avoir vécu cette seconde.
Pourquoi se ressasser cela sans arrêt? Cela ne sert à rien, si c'était à
refaire, l'Homme recommencerait. Ce serait le jet d'un sac plastique qui
naviguerait jusqu'à la mer. Car tout a commencé comme ça un geste simple sans
conséquence qui se multiplie à l'infini, l'égoïsme nous permettant de croire
que l'on a le droit d'agir ainsi. Ce sont ces politiques soutenant les
compagnies pétrolières qui en sont responsables. Ce sont eux qui rendront des
comptes au banc de la société, au grand tribunal des amoureux de la terre, ils
seront condamnés pour crime contre la nature; crime contre nature pourra-t-on
vraiment dire.
L'homme se ressasse tout cela en songeant qu'il n'a pu rien faire. Va falloir
qu'il mette sa combinaison, son masque, ses bottes pour aller chercher de quoi
se sustenter. Il va partir pour sa quête finale. Arpenter ces rues balayées par
un vent de sable. Il se couvre entièrement, la moindre surface de peau offerte
au soleil brûlerait instantanément. Il doit chercher quelques trous ou
récipients dans cette ville contenant un liquide poisseux lui permettant de
s'abreuver. Il est conscient que si ce n'est aujourd'hui qu'il périra, ce sera
certainement demain.
Demain il y a longtemps voulait dire espoir, depuis peu ce mot, Demain, pour
lui veut dire mort.
Dans une
année lumière de là, une vie apparaîtra sur une autre planète. Les nouveaux
êtres verront la terre comme une planète inhospitalière ne pouvant accueillir
la vie.
L'histoire se serait-elle déjà répétée ?
mardi 4 mars 2025
Là où il y a du rève
Naveed à 10 ans, endormi sur sa couche, il est dans
un autre monde, dans ses rêves. Sa mère le secoue : « Il est six heures !
Dépêche-toi tu vas être en retard! ». Il se frotte les yeux pour quitter cet
univers où il se sentait bien.
Naveed part au travail, il à une dure journée devant lui, dix heures de
travail, il émet un petit sourire, dix ans, dix heures. Il connait le chiffre
dix, il a été un peu à l’école, à peine deux ans mais ses parents sont pauvres
et n’ont pas de quoi nourrir leurs trois enfants. Il travaille à la tannerie,
avec plein de gosses comme lui, à journée entière il charrie les peaux, les
mettant sur sa tête. Ces peaux sont lourdes et son cou lui fait mal ; parfois
il plonge dans la piscine pour laver ce cuir encore plein de poil. Naveed
côtoie aussi les produits toxiques qui sont déversés dans la rivière.
Ici on emploi des gamins car on les paie dix fois moins cher, décidément ce
chiffre, une fixation.
Naveed ne se plaint pas, le soir il va voir son meilleur copain qui, lui, a la
chance d’aller à l’école. Ce dernier lui raconte les histoires qui sont dans
son livre.
Le vendredi, seul jour de repos. Naveed doit aller chercher de l’eau de plus en
plus loin à cause de la pollution. Le reste de la journée il peut jouer.
Le rêve de Naveed est d’avoir des chaussures de foot. Ironie du sort, ces
chaussures sont faites du cuir qu’il transporte toute la journée, pour
l’instant il joue pieds nus.
La vie suit son cours chaotique, comme la rivière qui charrie les poissons
morts.
Un jour, un homme vient les voir à leur lieu de travail, il leur dit qu’il faut
qu’ils aillent à l’école. Ça, Naveed en était conscient, mais là où une lueur
d’espoir apparait, c’est quand le type leur dit qu’il est là pour les aider. Ce
dernier s’est mis d’accord avec leur patron pour les laisser une heure par jour
aller à l’école.
Rejwan demande aux parents si Naveed pourrait seulement travailler le matin et
aller à l’école après. Les parents rechignent, le père est vieux et fatigué.
Après palabres et concessions la mère est d’accord.
Le rêve de Naveed commence à prendre forme, à l’école justement on lui montre
des chaussures de foot et on lui apprend qu’elles sont faites du cuir qu’il
travaille. Rejwan leur dit qu’il veut faire une équipe de foot. Naveed est
ravi.
Combien d’enfants travaillent dans le monde, dans les mines, les usines, les
tanneries. Certainement qu’en cherchant sur Google on peut trouver, je vous
laisse chercher car c’est mieux que de ne lire qu’un chiffre probable qui ne
veut rien dire si on ne le compare pas à d’autres. Mais la question qui tue est
combien de Rejwan tous ces enfants rencontrent-ils, ça je ne pense pas que
Google le sache. Je ne me hasarderais à en annoncer un chiffre, je pense que je
serais même trop optimiste.
Je suis allé en inde en voyage, un jour voyant un enfant tirer une charrette de
bon matin ; je me suis fait une réflexion : Quelle distance! des années
lumières nous séparent. J’ai jugé qu’il faut que certains matins, je repense à
ce garçon ne serait-ce que pour ne pas l’oublier.
Quand, petit, je me plaignais, ma mère disait qu’il y avait toujours plus
malheureux que nous. C’était une phrase facile, pas très optimiste, d’ailleurs
elle ne me consolait pas trop. Il vaut mieux tirer les gens vers le haut comme
le fait Rejwan plutôt que de leur dire regarde plus malheureux que toi.
Les hommes sont égaux nous dit l’évangile, les enfants ne le sont déjà pas dans
leurs rêves. Ils ne le seront jamais dans la réalité.
vendredi 28 février 2025
Hiver!
De gros nuages noirs glissent dans le ciel, ils tutoient les arbres, la cime de ceux-ci ploie comme ne pouvant supporter le poids de cette masse aqueuse. Parfois le vent balaie ces nues pour découvrir une voute blanche, alors la clarté intensifie le jour, laissant espérer un bout de ciel bleu percé d'un doux rayon de soleil.
Henriette, à sa fenêtre regarde l’hiver arriver. Des hivers elle en a vécu beaucoup, plus qu’il n’en faut, se dit-elle. Je suis entrée profondément dans l’hiver de mon existence pense-t-elle dans un soupir. Elle déclare à qui veut l’entendre que sa place n’est plus ici ; Pourtant elle s’accroche à la vie.
Henriette est d’humeur joyeuse ce matin, demain c’est la Noël et la famille va arriver. Un moment de bonheur. Ces enfants aiment à se retrouver autour d’une table bien garnie, « c’est de moi qu’ils tiennent cela ! ». Aujourd’hui ce n’est pas elle qui va faire le repas elle est trop faible. Paulette est là pour la remplacer. Paulette est la bonne, bonne à tout faire : le ménage, la lessive, le repassage mais aussi les soins du corps d’Henriette et le social avec ses rapports sur la vie de la commune. « C’est mon couteau suisse ! » rigole Henriette qui ne manque pas d’ironie. Elle ne le dit pas à Paulette car celle-ci va croire qu’elle perd la tête. Paulette ne comprend pas le second degré, pour elle la vie est simple, il n’y a pas deux façons de dire les choses. Paulette n’est pas très instruite et pourtant avec ce qu’elle sait faire elle pourrait en remontrer à beaucoup. L’expérience est la meilleure des formations.
Alors Paulette fait la cuisine, pas son meilleur savoir grommelle Henriette qui, d’un bond sort de son fauteuil, elle a senti une odeur de brulé. Avançant lentement avec ses béquilles elle tance Paulette qui lit le journal à la table de la cuisine. - vous ne sentez pas que ça brûle ? - Vous inquiétez pas ! Ça cuit ! - ça ne cuit pas! ça brule ! déclare Henriette en soulevant le couvercle. Je veux que cela soit parfait déclare–t’elle en retournant à son fauteuil.
Henriette, son hiver, elle l’a connu en Février 46. La guerre finie, une vie agréable se dessinait, amoureuse de son Gaston, elle prévoyait des jours heureux avec lui et ses enfants. Ce jour là Gaston était parti dans la forêt avec son cheval et son tombereau. Gaston voulu enlever une pierre sous la roue quand le chien aboya sur un lapin, le cheval prenant peur fit un écart. La roue écrasa la tête de Gaston. C’est Fernand qui trouva Gaston sous la charrette et c’est lui qui vint annoncer le drame à Henriette lui creusant une crevasse à jamais dans le cœur. Henriette vit avec cette plaie depuis. Elle s’habilla de noir, couleur qu’elle ne quittera plus. Les gens étaient attachés, liés à leur amour à l’époque et rien, pas même la mort, ne pouvait rompre ce lien. Elle se consacra à ses enfants qui devaient affronter la vie, ce fut dur mais Henriette est contente du résultat. Ses fils ont su trouver le bonheur.
Alors Henriette guette le chemin par sa fenêtre, ce cadre qui lui sert de vue sur le monde extérieur. Malgré le ciel noir et bas, une lueur brille dans ses yeux. Cette lueur est son Noël, elle est impatiente de voir la voiture pointer son nez au détour du chemin.
Alors le temps sera au beau jusqu'à la fin de la semaine.
Routine !
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