La nuit enveloppe les bâtiments d’un voile soyeux. Elle aplanit les
laideurs du jour, pensais-je! La nuit pénètre par la fenêtre et envahit
lentement la chambre où je suis. Allongé sur un matelas à même le sol je
la regarde progresser lentement sur le plafond. Avec elle le silence se
fait tout doucement ponctué seulement de quelques bips qu’égrènent les
machines. Les bruits de la journée sont devenus plus rares, plus
feutrés. La chambre plonge dans une torpeur. Le noir est troué de
lumières vertes et bleues qui jouent sur les murs des ombres féériques.
Je saisi l’instant presque magique mais je ne suis pas seul dans cette
chambre.
Sur un lit, un enfant est étendu sur le dos, il ne bouge pas,
on n’entend pas son souffle, il est de marbre.
Je suis
là, à l’hôpital, car le médecin m’a dit ce soir que mon fils ne
passerait peut être pas la nuit, une dose de chimio trop forte et la
petite usine chimique de son corps s’est mise à s’emballer; c’est comme
une réaction nucléaire en chaine qu’on n’arriverait plus à contrôler.
C’est l’image que je m’en fais car le toubib y est allé de ses grands
mots savants mais j’aime traduire pour avoir une image contrôlable, elle.
Je l’attends ! C’est la nuit qu’elle arrive.
La
porte s’entrouvre, je fais semblant de dormir pour ne pas déranger
l’infirmière de nuit. Elle s’affaire deux ou trois minutes autour du lit
puis ne l’entendant plus je risque un œil, je la vois de dos elle est
agenouillée devant mon fils et elle prie. « Quelle force dans sa
croyance me dis-je ! » dans ce lieu où des enfants souffrent où
quelques-uns meurent aussi, comment peut-on croire encore à une
quelconque force supérieure. Cette croyance je la respecte, je connais
la personne c’est une seconde mère pour tous ces enfants qui dorment
loin de leur foyer. C'est une sainte! J’aimais la voir le soir quand je
laissais mon fils seul la nuit; je savais qu’elle s’en occuperait bien.
Des larmes me viennent à la voir là. Je l’aurais embrassée pour
l’instant d’amour qu’elle donne.
Elle sort!
Je reste pétrifié sur mon matelas.
Je l’attends ! Faut pas que je m’endorme
Dans
quel monde suis-je en ce moment, un monde qui peut basculer d’un
instant à l’autre, je guette le son de la machine qui va déchirer ce
calme pour nous dire « c’est fini ! ». Ces robots faits de clignotants,
de chiffres et de bruitages paraissent les seuls choses vivantes. Ces
machines relient l’enfant à une vie artificielle et guettent elles aussi
les réactions du corps pour nous alerter le cas échéant.
Cela fait des
mois que cette chambre est notre seconde maison. Nous y passons une
partie de notre temps, nous y mangeons, parlons, rions, pleurons,
jouons… enfin nous y vivons. Des jours d’espoirs, de victoires, d’autres
de défaites et de souffrances. Allez dans un hôpital d’enfant! Vous
prendrez une leçon d’optimisme. Les enfants y sont souvent plus forts
que nous adultes; ce sont eux qui nous soutiennent. J'y ai connu des
héros de la vie même si l’innocence de l’enfance leur manquera toujours
quelque part.
Je la guette! Elle et sa faux.
C'est étrange de voir un enfant, si vivant, rester
allongé sur le dos sans aucun signe qui peut nous laisser espérer. Un instant
j’ai l’impression qu’il en a eu marre, qu’il se laisse partir, abrégeant ses
souffrances. J’ai peur aussi qu’il veuille abréger les nôtres. Je voudrais lui
dire, avant, combien j’ai aimé notre combat ensemble que, si j’ai désespéré
parfois ce n’est pas à cause de lui, c’était une faiblesse de ma part.
J’aimerais lui dire et lui dis que j’ai tant de choses à vivre avec lui avant
qu’il s’en aille; qu’il ne peut pas partir comme cela, même s’il veut faire un
bras d’honneur à la vie qu’on lui inflige. Que peut être le combat en vaut
encore la peine.
J’essaie de m’en persuader.
Elle est là! Je la sens.
Parfois
je crois sentir son souffle mais ce n’est que l'air du climatiseur. Mes
paupières s’alourdissent, les minutes, les heures défilent à un rythme
défiant la tortue de la fable. Une lueur me semble-t-il dans le ciel; La
clarté chasse la nuit et ses ombres; enfin le matin va apparaitre, je
me lève et m’approche de mon enfant il est toujours là avec nous.
Elle n’est pas venue !
Cette nuit nous aurons gagné, mais combien de nuits tiendrons-nous ?
Deux
jours plus tard alors que je veillais mon fils, j’ai repéré un petit
battement de cil. Je lui ai parlé, j’ai décidé de mettre le CD de
Balavoine qu'il adorait, j'ai fredonné comme on faisait ensemble et il a
émis quelques sons, c'est ainsi qu'il s'est réveillé.
La vie, en suspend jusque là, recommençait.